LE MONDE
Alors que l'Europe "boucle" ses frontières aux étrangers, le Japon envisage d'entrouvrir les siennes. L'archipel est le pays riche dont la politique d'immigration est la plus restrictive. Il ne compte que 2 millions d'étrangers sur 128 millions d'habitants. Mais le pays vieillit, la natalité baisse et sa population active décline, assombrissant l'avenir économique. Un plus grand recours à la main-d'oeuvre féminine (50 % des salariés), le maintien au travail des plus de 65 ans et le développement de la robotisation ne sont que des palliatifs.
Aujourd'hui, le Japon est donc placé devant un défi. Un groupe d'experts a été créé en mai auprès du premier ministre pour proposer des solutions en vue d'un meilleur accueil des immigrants. Encore embryonnaires, des évolutions se dessinent dans la situation des étrangers au Japon.
Longtemps, les Coréens (593 000) ont été la première minorité par le nombre. Les Chinois les ont aujourd'hui dépassés (606 800) suivis des Brésiliens (300 000) - descendants des immigrés japonais en Amérique latine à la fin du XIXe siècle - et des Philippins (200 000).
L'Archipel ne compte s'ouvrir qu'aux étrangers qualifiés. Mais aujourd'hui une bonne part des étrangers au Japon (plus de 600 000) est peu ou pas qualifiée, et 140 000 sont en situation irrégulière : en 2007, 45 000 étrangers ont été expulsés. Dans des secteurs concurrencés par l'étranger (chantiers navals, textiles), la main-d'oeuvre étrangère fait baisser les salaires des Japonais.
Premier frémissement : le nombre de régularisations d'étrangers liés à un Japonais a augmenté sous la pression d'une petite association, Asian Friendship Society. Et, après des années de bataille juridique, la cour suprême a jugé, le 3 juin, que des enfants nés hors mariage de mères étrangères - en l'occurrence philippines - pouvaient obtenir la nationalité japonaise.
Enjeu économique et démographique, l'immigration relève aussi d'une perception de l'étranger. La population japonaise n'est guère préparée à un afflux d'immigrants, et le gouvernement n'envisage pas que leur présence dépasse 3 %. La droite dénonce régulièrement le risque sécuritaire posé par les étrangers - criminalisation des Chinois notamment.
Depuis l'ouverture à l'extérieur, au milieu du XIXe siècle, les gouvernants ont bercé les Japonais de l'idée qu'ils constituaient un peuple ethniquement homogène. Vision que contestent des historiens et des anthropologues. Et qui ne reflète pas la situation aux marches de l'Empire (Hokkaido au nord et Okinawa au sud).
La reconnaissance, par un vote au Parlement le 5 juin, des Aïnous comme une ethnie minoritaire, a porté un coup à l'illusoire "pureté raciale" nippone. Descendants des chasseurs-pêcheurs ayant vécu à Sakhaline, aux Kouriles et en Hokkaido, les Aïnous ont été décimés par la colonisation à partir du XVIe siècle.
Non étrangère à la tenue du prochain G8 en Hokkaido, cette reconnaissance constitue-t-elle un premier pas vers l'admission du multiethnisme nippon ?
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