jeudi 15 septembre 2011

Il n'y a pas que les frontistes qui ont une opinion négative de l'immigration

En juin un sondage souligne que 54% des Français ont une opinion négative de l'immigration. Un résultat frappant peu relayé dans les médias qui révèle un profond malaise de la société française vis-à-vis des immigrés. Explications avec Christophe Guilluy, géographe et auteur de "Fractures françaises".

Un sondage IPSOS publié en juin dernier et réalisé dans 23 pays européens n’a donné lieu à aucun commentaire. Les résultats sont pourtant révélateurs du malaise des sociétés européennes et singulièrement de la société française. Ainsi, personne n’a évoqué le fait qu’aujourd’hui 54% des Français ont une opinion négative de l’immigration.

Ce décalage entre le traitement médiatique et des résultats aussi impressionnants illustre l’évitement d’un sujet qui est pourtant un des moteurs de la recomposition politique à l’œuvre sur le continent européen. Il est en effet compliqué pour les politiques d’évoquer les résultats de ce sondage. Cette enquête a été réalisée dans 23 pays dont les modèles de société sont très différents et pourtant, le malaise semble être le même partout.

Une majorité de Français pense qu'il y a trop d'immigrés

Quel que soit le type de société, "anglo-saxon-communautariste" ou "républicaine française", les résultats sont à peu près les mêmes. Partout une majorité absolue pense "qu’il y a trop d’immigrés, que leur proportion n’a cessé d’augmenter et que l’immigration est globalement négative pour leur pays". Comment ne pas prendre en compte ces résultats pour expliquer les évolutions politiques du continent et singulièrement de la montée des partis populistes ?

Le débat sur de la "droitisation" ou l’explication du phénomène par le "vieillissement" de la population européenne éludent l’essentiel : l’immigration. Si le contexte économique favorise évidemment ces tendances, cela n’explique pas tout. Il apparaît en effet que les différences de niveau de vie, de fécondité, de cultures ou d’organisation politique entre pays européens n’influencent qu’à la marge la perception de l’immigration. Assiste t-on alors à un basculement idéologique dont l’aboutissement serait la prise du pouvoir des partis populistes en Europe et du Front National en France ? Rien n’est moins sûr.

Le bobo parisien et l'électeur FN ont des comportements parfois similaires

En effet, contrairement aux idées reçues, l’indicateur FN n’est peut-être pas le bon pour mesurer l’importance du phénomène. En réalité, plutôt que de s’intéresser à ce que disent ou expriment politiquement les gens, il faut s’intéresser à ce qu’ils font depuis vingt ans. Les pratiques d’évitement résidentiel et/ou scolaires permettent ainsi de mesurer avec plus d’efficacité le niveau de tolérance des individus à l’immigration. Il apparaît alors que face à l’émergence de la société multiculturelle, les individus cherchent dans leur majorité à ériger des frontières visibles ou invisibles ; et ce quel que soit leur opinion politique affichée. Le séparatisme social et culturel est pratiqué par une majorité de français.

Le bobo parisien qui vote à gauche et contourne la carte scolaire s’inscrit ainsi dans la même démarche que le prolétaire à Hénin-Baumont qui vote Le Pen. L’un érige lui-même des frontières invisibles par ses choix résidentiel ou scolaire, l’autre, qui n’a pas les moyens de les ériger demande à un pouvoir fort de les mettre en place. Les bobos peuvent ainsi vivre dans des quartiers socialement et ethniquement mixte mais dans des immeubles ethniquement et socialement homogène tout en contournant la carte scolaire.

Les classes populaires qui n’ont pas les moyens de mettre en place ce séparatisme soft, choisissent, quand elles le peuvent, d’habiter à l’écart des quartiers ethnicisés et des villes multiculturelles. Car, et c’est la question essentielle posée par ce sondage, l’émergence de sociétés multiculturelles contribue à une nouvelle insécurité culturelle à laquelle les individus sont plus ou moins exposés selon leur position sociale.

L'immigration, au delà du clivage droite-gauche

La question de l’immigration dépasse le traditionnel clivage gauche-droite. Plus que le racisme, il y a des racistes dans tous les électorats, c’est d’abord la possibilité de mettre en œuvre des protections qui favorisent ou non le vote FN. Avoir ou ne pas avoir "les moyens de la frontière", voilà ce qui différencie les électorats, pas leur perception des flux migratoires. Une perception, qui risque de préoccuper de plus en plus les européens dans les années à venir pour plusieurs raisons.

Dans une société multiculturelle, l’intensification des flux migratoires pose une question majeure à l’ensemble des sociétés européennes et singulièrement à la société française ; une question soigneusement évitée mais qui est à l’origine des nouvelles ségrégations territoriales. Dans une société multiculturelle, et contrairement à l’ancien modèle républicain assimilationniste, "l ‘autre" ne devient pas "soi", il reste "l’autre". Cela ne veut pas dire "l ‘ennemi" ou "l’étranger" mais cela signifie que sur un territoire donné une "majorité" peut devenir "minoritaire". Cette question minorité/majorité est fondamentale.

Les ménages font tout pour vivre dans un environnement familier

Devenir minoritaire sur le territoire où on est né est un choc culturel considérable. Partout en France, et en Europe, cette question de "l’instabilité démographique" a entraîné une recomposition sociale et culturelle des territoires sans précédent. Depuis 20 ans, les ménages font tout pour vivre dans un environnement familier et ce n’est pas quelque chose qui est forcément dit ou exprimé politiquement. Mais c’est quelque chose qui se fait. Toutes les crispations sur l’Islam, perçue comme une culture différente, s’expliquent de la même manière.

Ces crispations sont d’autant plus vives qu’elles sont corrélées avec la question démographique et au sentiment que l’on peut devenir minoritaire sur un territoire où sa culture d’origine n’est plus le référent culturel. Le malaise des opinions européennes est là dans cette forme d’insécurité d’ordre culturelle. Un sentiment partagé par l’ensemble des individus quel que soit leur origine. Par exemple, les bailleurs sociaux de Seine Saint Denis ont aujourd’hui de plus en pus de demandes de la petite bourgeoisie maghrébine pour ne pas être logé dans des immeubles où vivent des familles africaines.

On le voit, tout le monde est logé à la même enseigne et c’est la grande question du multiculturalisme. Il faut savoir si les gens sont capables de vivre en étant culturellement minoritaire. Ce n’est pas une question ethnique, mais bien plus culturelle. Depuis 20 ou 30 ans, on a fait comme si cela n’existait pas. Le discours multiculturaliste est connu, mais il y a une hypocrisie parce que dans ce domaine, les croyants sont rarement les pratiquants. 54% des Français donc estiment que l’immigration est négative pour le pays mais il ne sont que 15 à 20% a voter FN.

Le malaise face à l’émergence de la société multiculturelle dépasse la seule question politique. Il est d’autant plus durable qu’il s’inscrit dans une critique désormais majoritaire de la mondialisation. En juin 2011, 80% des Français étaient en faveur d’un protectionnisme européen. Face à la mondialisation, il apparaît que la question sociale s’articule aussi avec une question culturelle.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/193103;il-n-y-a-pas-que-les-frontistes-qui-ont-une-opinion-negative-de-l-immigration.html

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