Détruits par les ouragans, de nombreux micro-États ont trouvé dans les investisseurs de pays accusés de terrorisme et mis au ban de la communauté internationale un moyen de prospérer en leur délivrant des passeports.
Pour réunir des fonds et se reconstruire après les ouragans ravageurs qui les ont frappés, des pays des Caraïbes vendent leurs passeports à des investisseurs du Moyen-Orient.
Mais comme s’en inquiètent des responsables officiels, la concurrence entre les îles se traduit aussi par un véritable dumping tarifaire, et des passeports pourtant recherchés se vendent à vil prix.
Parmi les îles durement touchées par les derniers ouragans figurent la Dominique, où l’ouragan Maria a détruit 90 % des constructions le 19 septembre, et Barbuda, aux infrastructures presque intégralement détruites, qui dut même être évacuée après le passage de l’ouragan Irma le 6 septembre.
Aujourd’hui, la saison des ouragans est terminée et la reconstruction commence – et certains pays touchés peuvent compter sur l’aide de nouveaux amis venus du Moyen-Orient.
Ces dernières années, de nombreuses îles des Antilles ont ouvert grand leurs portes aux investisseurs moyen-orientaux, qui y alimentent même une manne immobilière dans laquelle certains voient un “Dubaï caribéen”.
Et non contents d’acheter des villas les pieds dans l’eau et des hôtels grand luxe, certains recherchent aussi une nouvelle exportation caribéenne très demandée – une deuxième nationalité.
Un passeport du Commonwealth
Ces micro-États n’ont souvent guère plus que quelques dizaines de milliers d’habitants, mais ils ont pour particularité d’être d’anciennes colonies britanniques aujourd’hui membres du Commonwealth, dont les passeports permettent de voyager sans visa vers le Royaume-Uni, les 26 pays d’Europe de l’espace Schengen et des destinations aussi lointaines que la Chine et Singapour.
Un ancien haut responsable du gouvernement américain, interrogé par nos soins, redoute aussi que ces programmes permettent à des individus liés à des “réseaux terroristes internationaux” de se faufiler jusque dans l’“arrière-cour” des États-Unis.
De fait, étant donné le chaos politique dans lequel sont plongés de nombreux États du Moyen-Orient, leurs ressortissants ont du mal à voyager sans visa.
Les détenteurs de passeports yéménite, irakien et syrien ne peuvent ainsi se rendre sans visa que dans une trentaine de pays, parmi lesquels la Malaisie, l’Équateur et la Micronésie. Iraniens et Égyptiens sont dans une situation semblable.
Nationalité obtenue en quatre mois
Or il leur suffit d’aller faire un tour à Dubaï dans les bureaux du cabinet Henley & Partners, spécialisé dans le conseil en résidence et citoyenneté, pour se voir ouvrir les portes de bien d’autres destinations – et en particulier des plus grands marchés de consommateurs de la planète.
Les cabinets de ce type se multiplient : grâce à des liens étroits avec des gouvernements du monde entier, ils peuvent proposer à leurs clients des programmes d’achat de nationalité contre investissement.
Si le cabinet a aussi en rayon des passeports européens (autrichien et maltais, par exemple), on constate chez Henley & Partners que nombre de ressortissants du Moyen-Orient ont une préférence pour les Caraïbes : la procédure est plus rapide et moins coûteuse, et la nationalité peut se transmettre aux enfants.
“Dès lors que toutes les conditions sont remplies, et que sont faites toutes les vérifications, notamment des antécédents du demandeur, le passeport d’un pays des Caraïbes est délivré dans les quatre à six mois”, précise Marco Gantenbein, directeur associé de Henley & Partners pour le Moyen-Orient.
Un client souhaitant faire affaire à Taïwan aura intérêt à demander un passeport de Sainte-Lucie ; pour se rendre en Chine sans visa, il préférera la citoyenneté grenadine.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), les demandes venues de Russie sont en très forte hausse, et celles du Moyen-Orient en progression constante.
Un programme vital pour l’économie des îles
Henley & Partners ont vu leurs partenariats avec le Moyen-Orient se multiplier depuis le “printemps arabe” de 2011, et selon Gantenbein, ses clients originaires de Syrie, Irak, Jordanie et Égypte choisissent de s’installer dans les Caraïbes “afin d’offrir des perspectives internationales à leur famille, assurer leur avenir et développer leurs affaires”.
Par bien des aspects, cette double citoyenneté est devenue un précieux atout stratégique pour les riches expatriés et leurs familles qui vivent aux Émirats arabes unis (EAU) mais qui veulent plus de mobilité et de possibilités de carrière à l’international, en même temps que plus de stabilité, de liberté et de sécurité.
Les investisseurs des EAU comme Range Developments, basé à Dubaï, qui se présente comme un “promoteur immobilier international de sites hôteliers de luxe”, travaillent en concertation avec les gouvernements des pays des Caraïbes pour construire ces résidences dans lesquelles les éventuels nouveaux citoyens auront envie d’investir.
Leur Park Hyatt cinq étoiles à 200 millions de dollars sur Saint-Kitts qui va ouvrir en novembre – avec marina pour superyachts et parcours de golf – a permis aux investisseurs d’obtenir des parts dans l’hôtel et ses bénéfices, ainsi que la citoyenneté de Saint-Kitts-et-Nevis pour 400 000 dollars.
Et à la Dominique, elle aussi éprouvée par l’ouragan, les clients peuvent obtenir un passeport et devenir actionnaire du Cabrits Resort Kempinski construit par Range, une somptueuse résidence sur la plage nichée au sein d’un parc naturel – pour 220 000 dollars.
Selon Gantenbein, du fait des ouragans, encore plus d’investisseurs de ce genre vont être amenés à participer à l’effort de reconstruction.
Et de citer pour exemple le fonds d’aide mis en place par Saint-Kitts-et-Nevis après le passage de l’ouragan. Le prix d’un passeport pour une famille de quatre personnes a été bradé en échange d’un versement de seulement 150 000 dollars.
Mais contrairement à la Dominique et Antigua-et-Barbuda, Saint-Kitts-et-Nevis ont été relativement épargnées par les intempéries. Leur gouvernement a donc été accusé de profiter de la situation peu enviable de ses voisins pour attirer de nouveaux partenaires.
Ce différend illustre bien à quel point ce programme [d’acquisition de la nationalité] est vital pour l’économie des îles.
À la Dominique, qui compte un peu plus de 70 000 habitants, “l’argent des passeports” représentait fin 2013 environ 10 % du PIB, selon le FMI, tandis que les passeports étaient les plus gros revenus d’exportation à Saint-Kitts-et-Nevis en 2013, soit 25 % du PIB.
Ce programme a injecté environ 500 millions de dollars dans l’économie d’Antigua-et-Barbuda depuis 2014 et permis de financer la sécurité sociale, les traitements
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https://www.courrierinternational.com/article/comment-les-iles-des-caraibes-vendent-leurs-nationalites-aux-riches-du-moyen-orient
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