mardi 14 avril 2009

Quand l'Amérique refoule les cerveaux étrangers

via Marianne2.fr

Le Sénat américain vient de décider de limiter le nombre de visas délivrés aux travailleurs étrangers hautement qualifiés. Incohérent quand on accepte massivement les produits chinois... et apparemment inutile.



Quand certains pays luttent contre la fuite des cerveaux, les Etats-Unis, eux, bataillent contre leur entrée sur le territoire national ! Dans l’espoir de contrer un chômage affolant (1), des sénateurs ont pris, coup sur coup, deux initiatives pour limiter le nombre de permis de travail temporaires accordés aux travailleurs étrangers hautement qualifiés.



Le premier épisode est passé presque inaperçu en France. Pourtant, il s’est déroulé au moment du vote du plan de relance de Barack Obama. Il s’agit d’un amendement déposé par un sénateur indépendant du Vermont. Votée par le Congrès, cette modification apportée au texte original interdit purement et simplement aux établissements financiers ayant bénéficié de l’aide de l’Etat de demander, pendant deux ans, des visas pour des travailleurs immigrés qualifiés.

Plus récemment, deux sénateurs, l’un démocrate (Dick Durbin, un proche du président) et l’autre républicain, ont demandé au gouvernement de limiter le nombre de ces fameux permis, baptisés « visas H1-B » dont le nombre a été fixé, cette année, à 85 000.


Les Américains ne sont pas des nouveaux-nés en matière d’immigration choisie et de protectionnisme. Pourtant, ces deux initiatives ont suscité un vif débat. Elles ont même réussi à faire sortir de ses gonds le « Alain Duhamel local », Thomas Friedman, éditorialiste au New York Times : « Même si je pense que le Président Obama a fait de son mieux, avec son plan de relance, pour ne pas céder aux pires tentations protectionnistes du Congrès, le Sénat a décidé, malheureusement, le 6 février, d’interdire aux banques et autres institutions financières qui reçoivent de l'argent des contribuables, les permis de travail temporaires pour immigrés hautement qualifiés. (…) Pourquoi devrions-nous ajouter des barrières contre ces cerveaux ? (…) Cela s'appelle la “Vieille Europe”. Cela s'écrit S-T-U-P-I-D-E ! »



Ce petit bijou de journalisme — que la « Vieille Europe » saura apprécier — a été ciselé depuis la ville de Bangalore en Inde. Si Thomas Friedman, s’y ait rendu, c’est que les visas H-1B sont utilisés principalement, non pas par des établissements financiers mais par des entreprises américaines du secteur des nouvelles technologies (Microsoft, IBM, etc), pour embaucher des travailleurs asiatiques et, en particulier, indiens.



Pour expliquer sa « colère », Thomas Friedman s’appuie d’ailleurs sur les travaux d’un chercheur de la Harvard Law School qui explique que « plus de la moitié des start-ups de la Silicon Valley ont été créées par des immigrants au cours de la dernière décennie » : « Ces entreprises ont employé 450.000 travailleurs salariés et réalisé un chiffre d'affaires de 52 milliards de dollars en 2005. » Dans une tribune publiée dans Newsweek, ce même chercheur précise qu’il y a « une forte corrélation entre l’augmentation du nombre de visas H-1B et l'augmentation du nombre de brevets déposés aux Etats-Unis ».



Mais dans le camp d’en face, aussi, les arguments sont affûtés. La plupart regrettent que le système des visas H-1B mette en place un dumping social à l’intérieur même des frontières américaines. Norman Matloff est professeur à l'Université de Californie. Etudes à l’appui, il montre que les entreprises des Etats-Unis exploitent les « failles » du système pour employer des « travailleurs étrangers en possession de visas H-1B à des salaires inférieurs à ceux pratiqués pour des citoyens américains. » Même discours ou presque du côté de Ron Hira, professeur au Rochester Institute of Technology. Lui n’y va pas par quatre chemins : « Le débat public sur l’immigration hautement qualifiée est en proie à des mythes. » Et au registre des mythes, il cite notamment celui qui voudrait « que l'octroi de visas H-1B [permette] d'éviter la délocalisation des emplois américains » : « En fait, il les accélère, et pas seulement en raison de "transferts de connaissances." »



Mais ce débat, aussi intéressant soit-il, arrive sans doute trop tard : les Services américains de la citoyenneté et de l’immigration, chargés d’enregistrer les demandes de visas H-1B, viennent d’annoncer n’avoir reçu, après neuf jours, qu'environ 62 000 demandes sur les 85 000 permis de travail temporaires possibles. En 2007, en quelques heures seulement, le seuil fixé par les autorités avait très largement été atteint et même dépassé. Pour certains experts, le faible nombre de demandes de visas en 2009 ne doit pas seulement être mis sur le compte du ralentissement de l’économie. C’est aussi qu’une partie des entreprises américaines ont, entre temps, eu le « bon goût » de délocaliser leur production à l’étranger et notamment en Inde…



(1) En touchant 8,5% de la population active en mars, il a atteint son plus haut niveau depuis novembre 1983.

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