jeudi 7 avril 2011

Le crime a fait aux banques une offre qu'elles ne pouvaient pas refuser

Le Monde

Embarras aux Nations unies


C'est ce qu'on appelle un pavé dans la mare. En décembre 2009, le directeur général de l'Office des Nations unies à Vienne, Antonio Maria Costa, qui est aussi, depuis 2002, le chef de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime organisé (ONUDC), accorde un entretien retentissant à The Observer. Le message : au plus fort de la crise financière, en 2008, l'argent d'activités criminelles, principalement le trafic de stupéfiants, a sauvé bien des banques prises à la gorge par le manque de liquidités. Selon lui, 352 milliards de dollars des profits de la drogue ont ainsi été intégrés dans le système, car c'était souvent, en ce moment de panique, "le seul investissement en capitaux liquides".

En d'autres termes, le crime a fait aux banques une offre qu'elles ne pouvaient pas refuser, selon la formule du Parrain. Pressé de questions, M. Costa a refusé d'identifier les banques ou les pays bénéficiaires de cette proposition immorale. Mais il tient ses informations "de services de renseignement et de magistrats" spécialisés dans la lutte contre le crime, qui ont attiré son attention sur ces transferts massifs, au cours de 2008. Transferts mis au jour en Grande-Bretagne, en Suisse, en Italie et aux Etats-Unis, selon The Observer. Les banques britanniques se sont aussitôt récriées. Pareil langage, insolite de la part d'un haut diplomate de l'ONU, suscite l'intérêt médiatique. Economiste formé à Moscou et Berkeley, M. Costa n'a pas la réputation d'être un grand imaginatif. A cette époque, l'Italien brigue un troisième mandat à Vienne : a-t-il franchi une ligne rouge dans l'espoir de faire pencher l'administration Obama en sa faveur ? Son chef, Ban Ki-moon, lui préfère en tout cas le Russe Youri Fedotov, pour des raisons qui ont sans doute beaucoup à voir avec les équilibres internes dans la galaxie onusienne.

Aujourd'hui encore, le coup d'éclat de leur ancien chef embarrasse visiblement les fonctionnaires de l'ONUDC, où l'on se garde "de confirmer ou d'infirmer" les éléments avancés dans The Observer. En interne, M. Costa n'a jamais donné ses sources, et s'il a bénéficié de renseignements confidentiels, ceux-ci n'ont jamais été communiqués à ses services, "ni officiellement ni officieusement", précise, au Monde, le chef de la communication à l'ONUDC, Alun Jones. L'Office, qui tiendra prochainement sa réunion annuelle sur le crime organisé, travaille sur la base de rapports fournis par les pays membres, vérifiés par ses experts ou parfois par des missions sur le terrain. Elle prépare, pour l'automne 2011, une étude spécifique sur l'argent de la drogue, la première sur ce thème sensible. Car l'argent sale est recyclé dans toutes les activités légales : finances, immobilier, industrie du luxe, commerce des métaux, etc. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), il représenterait jusqu'à 5 % du PIB mondial, soit 3 000 milliards de dollars (2 100 milliards d'euros). Au Mexique, on parle avec ironie du "cartel du Potomac" (la rivière qui traverse Washington) pour souligner la complicité des lobbies politiques et économiques avec le crime organisé, notamment les réseaux mexicains, que les autorités veulent pourtant combattre.

L'expansion globale du crime organisé est un puissant moteur de la mondialisation, comme l'a montré l'écrivain italien Roberto Saviano( Gomorra, Gallimard 2007). Ou encore le journaliste britannique Misha Glenny, dans McMafia. Au coeur de la criminalité internationale (Denoël, 2009). La Mafia, y montre-t-il, a été, dans la Russie des années 1990, "l'accoucheuse du capitalisme", les ex-généraux du KGB se plaçant sans vergogne au service de ces nouveaux princes.

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