mplanté dans 18 pays, le groupe de pneumatiques n'a pas pour autant cédé au diktat de l'anglais. Question de culture et d'efficacité.
Chez Michelin, la pratique du Français est un "ingrédient clef" de cohésion.
REUTERS/Regis Duvignau
Ce jeudi 21 juin, comme chaque mois, le comité exécutif du groupe Michelin se réunit à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Autour de la table, 12 personnes et, parmi elles, un seul étranger, l'Américain Terry Gettys. Le patron de la R & D du n° 2 mondial du pneumatique, originaire d'Alabama, s'est exprimé, comme les autres, dans la langue de Molière. Rien d'étonnant à cela : voilà bientôt cinq ans qu'il est installé en Auvergne. Surtout, même si la France ne représente plus que 10 % de l'activité du groupe et 20 % de ses effectifs, la maison Bibendum tient à sa singularité. Seule entreprise du CAC 40 dont le siège n'est pas à Paris, elle est probablement la seule, aussi, à se montrer si vigilante sur la diversité linguistique. Pas question de laisser prise au syndrome Alcatel, où les participants d'une réunion pouvaient réaliser après une demi-heure d'échanges dans un anglais moyen qu'ils étaient tous... francophones!
Pourtant, au début des années 2000, dix ans après l'acquisition de l'américain Uniroyal-Goodrich, Edouard Michelin, qui venait tout juste de succéder à son père, décidait de faire de l'anglais la deuxième langue officielle du groupe. Une révolution qui en cachait une autre : "Il avait senti l'importance de soutenir la langue française tout en développant l'anglais", relate Claire Dorland Clauzel, directrice de la communication et des marques. Depuis, les deux idiomes cohabitent : quand on fait une présentation en anglais, il faut s'appuyer sur un diaporama en français... et vice-versa. L'anglais est pratiqué, sans devenir une lingua franca. Bien au contraire : la règle veut que les principaux cadres dirigeants maîtrisent le français en plus de leur langue maternelle. Résultat : la moitié des formations en langue sont consacrées au français. La culture familiale et locale très forte de Michelin explique cette politique volontariste. "Plus on se développe à l'international, plus il est important d'assurer la cohésion de l'ensemble, souligne Dorland Clauzel. Notre culture est notre ciment et la langue en est un ingrédient clef."
L'apprentissage du français découle logiquement d'une autre règle intangible : le passage obligé par le siège clermontois pour tous ceux qui ont vocation à grimper les échelons. Une immersion parfois violente, mais efficace. "Les six premiers mois sont très durs pour un non-Français, raconte Pete Selleck, président de Michelin Amérique du Nord. Il passe beaucoup de temps à traduire. Le soir, il a la tête farcie. Mais après un an, la transition est faite et le fonctionnement devient beaucoup plus facile." Lui-même, fils de militaire ayant vécu en France, n'a pas eu à subir cette épreuve. Mais, après huit années passées en Auvergne, cet ancien de West Point voit bien comment la langue a pu produire "cette grande rigueur et ce souci du détail". A tel point que, dans la production, les mots français se sont imposés : GI, pour gomme intérieure, est ainsi devenu un terme universel, des Etats-Unis à la Chine. "Nous n'avons pas de drapeau français sur nos usines, mais nous partageons le même vocabulaire", s'enorgueillit Selleck.
Des écoles aux Etats-Unis, en Chine, en Inde...Michelin ne lésine pas sur les moyens. Une école de formation, destinée aussi bien aux enfants d'expatriés (pour qu'ils puissent poursuivre leur scolarité en français) qu'aux cadres locaux, pour qu'ils commencent leur apprentissage, jouxte ses principales implantations. A Greenville, aux Etats-Unis (1974), à Clermont-Ferrand, en Auvergne (1996), à Shenyang, en Chine (2002), ces structures tournent à plein régime. En Inde, à Chennai, l'école a ouvert l'été dernier, plus d'un an avant l'inauguration de l'usine. Autant dire que le terrain est rarement abandonné à l'anglais. Pour le plus grand plaisir des francophiles : "En français, on peut recourir à l'implicite, glisse Pete Selleck. Ce qui, dans le business, peut se révéler parfois très utile..."
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