jeudi 12 juillet 2012

Prenez vos décisions dans une langue étrangère, elles seront plus rationnelles que dans votre langue maternelle !

Les actes comptent plus que les mots. C'est en tout cas l'adage. Mais tout dépend des mots. Allons même plus loin : et si une même proposition formulée différemment entraînait des actions différentes ? Un sondage publié par la chaîne de télévision américaine CBS News et le New York Times révèle que le choix des mots est très important. Deux questions étaient posées à des Américains :

1/ Trouvez-vous que les homosexuels devraient être autorisés à servir dans l'armée américaine ?
2/ Trouvez-vous que les hommes gays et les lesbiennes devraient être autorisés à servir dans l'armée américaine ?

Deux questions semblables mais formulées différemment, qui donnaient des résultats assez étonnants. Après qu'on leur ait posé la première question, 59% acceptaient que les homosexuels servent dans l'armée contre 70% pour la deuxième question !

Ce sondage reflète en fait la théorie développée par Daniel Kahneman et Amos Tversky en 1979 : la théorie des perspectives. Cette dernière décrit la manière dont les individus évaluent de façon asymétrique leurs perspectives de perte et de gain. Les économistes ont longtemps pensé que les décisions étaient prises logiquement par des "agents rationnels" qui se servaient de n'importe quelle opportunité pour augmenter leurs bénéfices et leurs plaisirs. Mais les deux psychologues démontrèrent qu’un même choix formulé, proposé différemment, avec des perspectives différentes donc, n'entrainait pas des décisions similaires.

Ces questions de vocabulaires sont bien évidemment tous les jours utilisées, notamment par les communicants. En politique, il sera par exemple plus intéressant de parler d'"exploration pour l'énergie" que de "forage pour le pétrole", ou encore d'"allégements fiscaux" plutôt que de "réductions d'impôts".

Oh, cauchemar, nous sommes tous manipulés par les mots. Et s'il y avait un moyen d'échapper à cette manipulation ?

Une étude publiée en avril 2012 dans Psychological Science et menée par Boaz Keysar, psychologue de l'université de Chicago, démontre que les bilingues seraient immunisés à la théorie des perspectives, mais seulement quand ils utilisent la langue qui n'est pas leur langue maternelle. "Il serait intuitif de penser que les gens font les mêmes choix quelque soit la langue qu'ils utilisent, ou justement qu'utiliser une langue étrangère ne rendrait pas les décisions systématiques. Nous avons découvert le contraire : Parler une langue étrangère diminue les prises de décisions biaisées".

Boaz Keysar a mené plusieurs tests, basés justement sur ceux de Daniel Kahneman, pour en arriver à cette "immunité" des bilingues.

Le test se présente comme suit :
"Une nouvelle maladie a été découverte. Sans soins médicaux, 600 000 personnes en mourront. Pour sauver ces malades, deux types de traitements, A et B, ont été mis au point.

Si vous choisissez le traitement A, 200 000 personnes seront sauvées.

Si vous choisissez le traitement B, il y a 33,33% de chances que 600 000 personnes, donc l'ensemble du groupe infecté, soient sauvées, et 66,66% de chances que personne ne survive.

Quel traitement choisissez-vous ?"

Les tests ont été menés sur 121 étudiants américains ayant appris le japonais, et 144 étudiants coréens parlant l'anglais.

Les chercheurs se sont alors rendu compte que lorsque les "sujets" entendaient l'énoncé du problème dans leur langue maternelle, les mots comptaient beaucoup, et ils choisissaient le traitement A les trois-quarts du temps. Cela changeait quand la formulation pour le traitement A était modifiée de façon à ce que "400 000 personnes ne survivent pas", et non plus "200 000 personnes de sauvées", toujours sur un groupe de 600 000. Il a été prouvé que les hommes sont instinctivement contre la prise de risques quand ils ne considèrent que les profits, et au contraire pour la prise de risques quand la question des pertes entre en jeu.

Les chercheurs ont alors ensuite réalisé que la formulation perdait de son importance quand les sujets du test s'y intéressaient dans une langue autre que leur langue maternelle. Ils choisissaient alors à égalité la solution A, quelque soit la formulation dont elle était présentée (en gains ou en pertes).

Dans une langue étrangère, les actions se libèrent donc. Les chercheurs estiment que parler une seconde langue aide à avoir une distance cognitive utile par rapport aux processus habituels, et que cela permet d'avoir une pensée analytique, réduisant les réactions émotionnelles.

Les conséquences de ces recherches sont multiples, et notamment sur la finance. "Les décisions prises tous les jours par des personnes dans une langue étrangère plutôt que dans leur langue maternelle concernant les investissements, l'épargne seront moins biaisées".

Deux raisons peuvent expliquer les effets des langues étrangères. Entendre une phrase dans une langue étrangère aurait moins d'impact que dans sa langue maternelle car cette autre langue n'a pas autant de résonance émotionnelle, d'implications… Utiliser une langue étrangère nous rendrait en effet moins sanguin, plus froid.

L'autre raison serait liée à la vitesse de pensée. Penser vite entraîne des actions plus intuitives, quand penser lentement pousse à un raisonnement plus analytique. Or parler une langue étrangère demande plus d'efforts. La boucle est bouclée.

Donc si vous décidez de ne pas prendre les décisions dans une langue étrangères, essayez au moins d'y penser à deux fois !

http://www.atlantico.fr/decryptage/decision-langue-etrangere-plus-rationnelle-langue-maternelle-376545.html

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