Nuls en langues, les Français ? Faux, s'insurge Till Gins, directeur de l'OISE (Oxford Intensive School of English). Pas plus mauvais qu'un autre, mais victime d'une éducation souvent trop rigide, où la réflexion est reine et la faute clouée au pilori. Depuis quarante ans, le Franco-Britannique dirige la première école de langues d'Oxford et a vu passer des millions de stagiaires, attirés par sa méthode en "one to one" particulièrement adaptée à l'apprentissage intensif. Pour Le Point.fr, il analyse les dessous du cliché tenace qui fait du Français un béotien au pays de Shakespeare.
Le Point.fr : Vous êtes diplômé de la Sorbonne en philosophie. Qu'est-ce qui vous a incité à réfléchir à de nouvelles manières d'enseigner les langues ?
Till Gins : Né d'un père français et d'une mère anglaise, j'ai grandi avec la double culture. Lorsque j'ai eu mon diplôme, je suis parti à Oxford rédiger un mémoire sur John Locke. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à donner des cours individuels. Et plus j'enseignais, plus je me rendais compte que ce système de tutorat, propre aux universités de Cambridge, Oxford et Dublin, était particulièrement performant. J'ai alors compris que la meilleure façon de maîtriser une langue était de procéder en "one to one", en cours individuels. Attention, je ne parle pas seulement de cours de soutien, mais bien de l'ensemble du programme. Travailler ainsi permet de personnaliser l'apprentissage et d'aborder les programmes avec davantage de pertinence. Même s'il faut bien sûr s'adapter à chaque nationalité, puisqu'elles n'abordent pas du tout la langue de la même façon...
C'est-à-dire ?
Nos programmes sont d'abord destinés aux cadres et aux chefs d'entreprise. Mais nous accueillons aussi des étudiants et des prépas. Et l'on se rend compte que, quel que soit l'âge de l'apprenant, il ne parvient que difficilement à se défaire des difficultés propres à son éducation, à sa culture.
Quelles sont ces difficultés chez les Français ?
Le Français est peut-être, de tous les stagiaires que l'on reçoit - davantage encore que le Japonais -, celui qui a le plus d'inhibitions. Le Français n'est pas mauvais en langues, comme on le dit bien souvent, mais il a peur du ridicule. Et ce blocage psychologique est tellement ancré dans la mentalité nationale qu'il a le plus grand mal à se lancer à l'oral, à prendre des risques, à se faire confiance. C'est comme s'il préférait calculer à l'avance ce qu'il va dire, ou tout simplement se taire, pour éviter de faire une erreur. Résultat : il est complètement bloqué et ne parvient pas à communiquer spontanément dans une langue étrangère.
Comment expliquez-vous ce blocage ?
C'est très simple. Un jour, je racontais ça à un ami anglais qui vit en France depuis très longtemps. Il se tourne vers moi et me dit : "Voyons, je suis sûr que vous avez très bien compris pourquoi les Français sont comme ça." Moi : "Non, je ne vois pas." "Vous n'avez qu'à regarder les parents français avec leurs enfants, me répond-il. Quelqu'un leur donne un bonbon et qu'est-ce qu'ils s'empressent de dire au petit ? Qu'est-ce qu'on dit ? Qu'est-ce qu'on dit ?" En somme, ils leur font toujours sentir l'idée de faute. Si l'enfant ne dit pas merci, c'est une grave erreur. Je pense que cette façon d'éduquer crée l'appréhension. Et ça va très loin, puisque le système éducatif français ne fait que relayer cette éducation. L'erreur est grave, apprend-on à l'école. On veut des sans-faute. N'est-ce pas précisément là que se situe l'erreur ?
Comment "débloquez-vous" les Français ?
Ils m'ont fait comprendre qu'en somme je n'étais pas là pour enseigner l'anglais, mais l'éloquence. Et c'est un pas important à franchir. Car c'est l'éloquence qui fait toute la différence, que l'on maîtrise les bases de la langue à la perfection ou non. Lorsqu'un Français vient me voir, en général, il me dit : "Je suis débutant." Là, je rigole et lui réponds : "Oui, vous avez fait huit ans d'anglais à l'école, c'est ça ?" Les acquis sont là, mais de façon mathématique. Intellectuellement, toutes les bases et les règles sont en place, mais ils ne savent pas les utiliser spontanément, quotidiennement. C'est comme si on nous demandait de passer notre permis en n'ayant fait que le code. Certes, vous maîtrisez tout, mais vous ne savez pas conduire pour autant ! Une étude très intéressante montre qu'un professeur d'anglais pose jusqu'à sept questions par minute. Quand donc l'élève peut-il répondre ? Je suis pour laisser de la place au silence.
Vous dénoncez donc, en quelque sorte, l'échec de l'école...
Elle ne peut pas former à l'éloquence puisqu'elle est complètement figée sur l'idée d'enseigner des matières, du quantifiable. Récemment, la London Chamber of Commerce and Industry a élaboré un examen pour permettre de tester l'aptitude des dirigeants d'entreprise à travailler en anglais. Or, en quoi consiste cet examen ? Un test de grammaire. La confiance, l'éloquence ? Trop compliqué à mesurer, nous répond-on.
Que préconisez-vous ?
Des prises de risque devant une assemblée, des débats engagés sur un sujet donné, des travaux d'équipe, tout ce qui permettra de révéler la personnalité de l'apprenant dans cette nouvelle langue. Je suis en effet persuadé que nous avons autant de personnalités différentes que de langues à notre actif.
De quel type d'entreprises viennent vos stagiaires ?
Nous avons tout type de gens. Beaucoup de cadres de chez Castorama, des traders de la Bourse de Paris, et parfois même de la City, mais aussi des entreprises de pharmaceutique, de logiciels... Les cadres de la SNCF sont aussi venus se former chez nous dans le cadre du projet à Taïwan. C'était d'autant plus intéressant qu'ils savaient que seuls ceux qui auraient le niveau à l'issue du stage pourraient partir.
Rassurez-moi, les Français ne sont pas les seuls à avoir ce blocage avec les langues ?
À chaque nationalité sa particularité ! Comme le Français, le Japonais va avoir tendance à penser qu'on veut se moquer de lui si on lui demande une intervention à l'oral. Mais les Allemands, eux, ont une problématique tout à fait différente. Ils développent un certain complexe à ne pas parler comme un Anglais ou comme un Américain. Et vont faire du mimétisme une véritable obsession. Qui peut souvent leur jouer des tours.
http://www.lepoint.fr/societe/le-francais-n-est-pas-mauvais-en-langues-il-a-peur-du-ridicule-26-09-2012-1510165_23.php
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