vendredi 10 mai 2013

Quand les chaines mémorielles entravent la lutte contre l’esclavage



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D'une tragédie universelle - l'esclavage et son commerce - qui appartient à la longue histoire commune de l'humanité, la loi Taubira ne sélectionnait, ne découpait, sur une séquence courte, que les faits imputables aux seuls Européens, laissant de côté la grosse majorité des victimes. Car la terrible traite transatlantique, du XVe au XIXe siècle, ne constitue malheureusement qu'une partie de l'histoire de l'esclavage, qui comprend la traite arabo-musulmane, laquelle a duré du VIIe au XXe siècle, et la traite intra-africaine, toutes deux plus meurtrières. 

Derrière Pierre Nora, nombre d’historiens dénoncèrent alors une relecture du passé en fonction des enjeux du présent, ce que Christiane Taubira assuma d’ailleurs franchement en précisant que sa loi n'évoquait pas la traite négrière arabo-musulmane pour que les « jeunes Arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids de l'héritage des méfaits des Arabes ». 

Pierre Nora discutait aussi le paradoxe de l'utilisation du concept de « crime contre l'humanité » - catégorie pénale dont l'objet est la poursuite de criminels - dans une loi traitant de faits limités à l'Europe et remontant à plusieurs siècles, alors qu'elle exclut soigneusement d'autres parties du monde où l'esclavage existe encore (Soudan, Niger, Mauritanie) et où ses responsables, qui sévissent en toute impunité, pourraient faire l’objet de poursuites. 

C’est à ce propos que le CRAN manque d’imagination, pour ne pas dire de compassion : si le devoir de mémoire entend éviter que le pire ne se reproduise (le fameux « plus jamais ça ! »), sa priorité devrait être de se mobiliser contre ce pire là où il n’a pas cessé ! 

Si l'histoire des traites européennes, qui se caractérise par sa relative brièveté et par leur abolition, est terminée depuis plus d'un siècle et demi, l'esclavage s'est prolongé jusqu'au milieu du XXe siècle (c'est pour le dénoncer qu’Hergé a publié Coke en stock en 1958) et il persiste de nos jours dans certains pays, notamment le Soudan, le Niger et la Mauritanie (malgré son abolition officielle en 1960, et de nouveau en 1980). 

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, il y aurait aujourd’hui dans le monde encore plusieurs millions d'adultes en esclavage véritable (à distinguer du nouvel esclavage que constituent diverses formes de surexploitation). Bien que plusieurs associations humanitaires aient aujourd'hui pour principale activité le « rachat d'esclaves », on n’en parle guère et les militants africains anti-esclavage se sentent un peu seuls, tels Moustapha Kadi Oumani, qui soulignait les contradictions de cette repentance à deux vitesses en conclusion de son livre Un tabou briséL'esclavage en Afrique (éd. L'Harmattan) : 

« Il apparaît bien paradoxal, au moment où l'Afrique attend des excuses pour les effets dévastateurs qui ont laminé son potentiel économique, déformé les systèmes politiques, sapé les pratiques morales et civiques, qu'elle continue à pratiquer elle-même l'esclavage ». 

Les criminels esclavagistes n'appartiennent malheureusement pas tous au passé lointain. Il n’y a pas qu’à Paris que Louis-Georges Tin peut déposer des plaintes.

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