Vous êtes anglais et connaissez bien l'enseignement supérieur français: que pensez-vous de la polémique sur la possibilité d'enseigner en anglais à l'université, introduite par le projet de loi Fioraso?
Si l'on veut attirer des étudiants étrangers, il faut des cours en anglais à l'université. C'est l'exemple de Sciences Po. Ceci dit, le vrai problème reste de savoir si les profs français sont capables d'enseigner en anglais. La France a évolué depuis 25 ans sur ce point, mais il reste du chemin à faire...
Que reprochez-vous aux grandes écoles françaises?
C'est un système étroit et rigide. Je ne suis pas contre les élites, mais en France on pêche dans un bassin qui s'avère minuscule! Aux Etats-Unis et en Angleterre, la diversité des élites est beaucoup plus importante. En France, l'ouverture sociale des grandes écoles est affichée comme un objectif politique, mais le système reste inchangé.
Deuxième reproche que je formule: les grandes écoles françaises sont dans une logique de sélection très forte. 96% de la population n'en est pas issu. C'est un système pour "happy few" qui génère un manque de confiance chez les étudiants, et des taux d'échec très élevés. De ce point de vue, le monde du travail agit comme un miroir de ce qui se passe à l'école: niveau de stress important, sentiment de frustration, manque de motivation. Autant d'éléments qui trouvent leur origine dans une logique de sélection.
Troisième élément, le principe de la méritocratie républicaine vanté par la France est très sympa... Simplement, il ne marche pas! Ce n'est pas parce qu'on est très performant à l'école, qu'on l'est tout autant en entreprise ou dans un cabinet ministériel. Il est d'ailleurs prouvé que les entreprises qui recrutent exclusivement dans le réseau des grandes écoles sont moins performantes que les autres. Autre élément d'interrogation, l'administration publique française. Si l'ENA était vraiment efficace, nous aurions une administration très performante et très moderne. Or la France a complètement raté depuis 20 ans les évolutions de son administration. Des rapports entiers consacrés à ce sujet encombrent les placards des ministères, mais les différents gouvernements sont incapables de les mettre en oeuvre. Si vous regardez les grands corps de l'Etat, tout cela n'est pas très étonnant... En France le corps le plus prestigieux est l'Inspection des Finances. Ce qui veut dire que les Français sont très forts dans la critique et le contrôle, beaucoup moins dans la mise en oeuvre.
Quelle réflexion vous inspirent les scandales récents impliquant de hauts responsables politiques français, de DSK à Jérôme Cahuzac?
La France a un retard énorme en terme de transparence, et d'"accountability". Ces affaires l'ont clairement montré. Le principe des cabinets ministériels, avec un ministre qui arrive avec toute son équipe, laquelle décide de tout, n'existe pas ailleurs. Pour ces raisons là, dans les pays anglo-saxons notamment, les professionnels de la politique sont séparés des professionnels de l'administration.
Que préconisez-vous?
Je pense qu'il faut casser le lien automatique entre les grands corps d'Etat et l'ENA. Ces réseaux sont aujourd'hui incestueux et malsains. Si ça fonctionnait, il faudrait les maintenir, mais ça ne marche plus!
Aujourd'hui nombre d'étudiants brillants partent faire leurs études à l'étranger. Mon espoir c'est qu'en rentrant en France, ils changent ce système, cet entre-soi qui prévaut dans les élites françaises.
En tant que directeur de la communication de Sciences Po, vous avez été témoin d'une crise sans précédent au sein de cette prestigieuse institution, entre les scandales liés à la rémunération de Richard Descoings et sa disparition violente. Quelle leçon en tirez-vous?
J'étais très attiré par Sciences Po. Je me disais: voilà l'exemple d'une école qui a évolué d'une façon très importante, en matière d'ouverture sociale notamment. Mais le point faible de Sciences Po, c'est sa gouvernance. Elle repose sur une structure très pyramidale, mais exclut toute procédure de contrôle. Prenons l'exemple des primes attribuées à Richard Descoings. Ce sont quand même le procureur général de la Cour des Comptes et le vice-président du Conseil d'Etat qui ont validé des montants énormes!
Si vous regardez les scandales récents dans d'autres universités, notamment aux Etats-Unis, à l'Université de Virginia ou à la London School of Economics en Grande-Bretagne, c'est l'université elle-même qui a traité le problème. A Sciences Po, l'institution n'était pas capable de faire le ménage toute seule. Cette affaire a nécessité l'intervention de la ministre, de la Cour des Comptes, de l'Elysée, le tout avec un certain nombre de fuites dans la presse. Aux Etats-Unis, l'idée que l'Etat puisse refuser la décision du conseil d'administration d'une telle institution, est inenvisageable!
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