mardi 4 juin 2013

Plus nous sommes occupés, plus nous nous sentons heureux

Atlantico : Le sociologue américain, John Robinson, a exploré la question du bonheur et la manière dont elle s’articule avec la façon dont les individus perçoivent le temps dont ils disposent (voir ici). Ses recherches concluent que plus les individus ont de temps libre, moins ils sont heureux. Comment peut-on expliquer cette relation ?

Yves-Alexandre Thalmann : Le premier niveau d’explication se traduit par le dicton "avoir l’embarras du choix". Si on dispose de temps libre, on peut choisir. Or, choisir est une source de frustration, de regrets, d’autant plus qu’à l’heure actuelle le panel de choix est très large. Le temps libre dont nous disposons nous offre une multitude de choix possibles pour se divertir.
Mais la question du bonheur va bien au-delà, le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi, a travaillé sur ce qu’il appelle l'"expérience optimale". Cette théorie revient à dire que pour être heureux dans sa tâche, il faut qu’elle soit à notre niveau de compétence ou un tout petit plus élevée. Si elle est trop simple, le sujet va s’ennuyer, si elle est trop compliquée, il sera stressé. Le juste milieu permet d’éprouver une sensation de bonheur et de satisfaction. Cette théorie se vérifie très bien dans le sport, pour s’épanouir il faut un adversaire à sa taille, ou un peu plus fort.
Cela ne dépend-il pas de ce qu’on entend par avoir du temps libre ?
Des études ont été réalisées pour observer les expériences optimales dans le quotidien. On constate alors que les chances de vivre cette expérience sont plus grandes au travail que pendant nos périodes de loisirs.
Il est vrai que lorsqu’on pratique un hobby, on ne voit plus le temps passer, cela est source de bonheur. Mais avec les rythmes soutenus actuels, le temps libre est utilisé comme temps de récupération plus que comme temps de loisirs actifs. Les loisirs actifs comme le sport demandent de l’énergie. Les loisirs passifs (télévision par exemple) ne sont pas associés à des moments de bonheur à proprement parler.

Notre rapport au temps a-t-il évolué ? Les nouvelles technologies ont-elles joué un rôle dans cette évolution ?


Ces dernières années, des machines ont été créées pour nous décharger d’une tâche, pour notre confort et nous donner plus de temps libre. Il n’y plus de travail harassant comme on a pu le connaitre il y a trente ans. Mais paradoxalement, nous sommes plus stressés que les générations précédentes, comme si on n’avait plus le temps de rien. Notre confort ne nous fait pas plus apprécier notre temps libre.
Nous passons un temps incroyable avec notre smartphone, c'est un vrai gouffre à temps. Tout comme on le voit avec l'ordinateur. C'et assez paradoxal en réalité : tout ce confort matériel nous prend un temps considérable.
Ce qui a changé, c'est le rythme de vie : par exemple, les séries télévisées actuelles ont toujours trois enquêtes en même temps, foisonnantes. Les séries télévisées des années 1970, comme Starsky et Hutch il y a une seule enquête et le rythme est beaucoup plus lent. D'autres travaux de recherche montrent que les gens marchent également plus vite qu'auparavant.

L’étude montre également que les personnes les plus occupées sont aussi celles qui se sentent le moins pressées par le temps. Est-ce tout simplement une question d’organisation / de contrôle de son temps ?


Une des caractéristiques des expériences de flux telles qu'analysées par Mihaly Csikszentmihalyi montre la disparition du temps : quand on lit un livre captivant, le temps n'existe plus. En cas de concentration, on ne se fait pas de souci, comme si notre énergie psychique était catalysée sur quelque chose. Quand on n'est pas productif, on peut être en proie à la déprime. Ne rien faire sur un transat au soleil peut donc être déprimant : on dit tous vouloir rêver partir de notre quotidien, mais en réalité on ne serait pas heureux.

N'y a-t-il pas des vertus à l'ennui ? 


Oui, mais sait-on encore s'ennuyer ? Est-ce qu'on apprend aux jeunes à s'ennuyer ? J'avais connu un père qui me disait que le week-end, il apprenait à ses enfants à "s'emmerder". Il ne faut pas avoir peur du vide. Il y a désormais tout un courant de la psychologie qui parle de la pleine-conscience, de se poser, de prendre son temps, de respirer. Il y a un réel besoin de se distraire de ses angoisses existentielles.

http://www.atlantico.fr/decryptage/keep-busy-be-happy-et-secret-bonheur-etait-ne-pas-avoir-minute-soi-yves-alexandre-thalmann-745300.html#C66LDTLoLV45CqpJ.99 

Aucun commentaire: