lundi 18 mai 2009

Espagne : De deux nationalités choisir la moindre

LE MONDE

Pendant et après la guerre civile, le chemin de l'exil des républicains espagnols était jalonné de périls et de souffrances. Depuis cinq mois, leurs enfants et leurs petits-enfants s'aperçoivent que l'itinéraire de retour n'est pas aisé. Aux sentiers escarpés des Pyrénées s'est pourtant substituée l'autoroute de la loi sur la mémoire historique. Grâce à la "disposition additionnelle n° 7", arrachée in extremis aux députés par l'Association des descendants d'exilés (ADE), il est désormais possible aux nouvelles générations disséminées de par le monde d'obtenir la nationalité espagnole, en plus de la leur. Depuis l'entrée en vigueur du texte, le 29 décembre 2008, 10 101 personnes ont déjà obtenu le passeport, dont 242 Français.

Selon le gouvernement, près d'un demi-million de personnes pourraient être concernées. Beaucoup moins, estiment les différentes associations. De janvier à fin mars, 40 000 demandes ont été présentées, dont 36 000 en Amérique latine. Dans de nombreux pays (Mexique, Chili, Argentine, Uruguay, Venezuela), la perspective de la double nationalité a provoqué une ruée vers les consulats espagnols. A Cuba surtout, où un tel passeport représente un bon de sortie vers... la Floride.

L'Espagne n'a pas à craindre un retour massif de ces enfants de l'exil. La crise économique qui la ronge n'en fait plus une destination aussi privilégiée que durant la dernière décennie. Surtout, le pays qui compte le plus de descendants est la France. Or les motivations des Français sont le plus souvent affectives envers le père ou le grand-père qui dût quitter sa terre, parfois idéologiques et solidaires des combats menés, rarement d'ordre économique. Cette démarche de mémoire familiale se heurte à tant de conditions que certains candidats s'en trouvent découragés, d'autres carrément exclus. Une disposition, surtout, a fait s'étrangler d'indignation plus d'un descendant de rojo ("rouge") : le formulaire à remplir implique de "jurer fidélité au roi".

"C'est l'obstacle numéro un pour les Français, reconnaît Ludivina Garcia, la présidente de l'ADE. Cette formule obsolète, issue du franquisme, est une véritable provocation." Consultés par l'ADE, les services du défenseur du peuple - l'équivalent espagnol de notre médiateur de la République - proposent de la remplacer par un charabia juridique passe-partout. Mais ce n'est qu'une suggestion, chaque consulat restant libre de l'accepter ou non.

Autre incongruité, les descendants d'exilés par le côté maternel sont exclus, en vertu d'une disposition du code civil de 1954 qui retirait la nationalité espagnole à une femme épousant un étranger. "Cela confère à la loi un caractère rétroactif inacceptable, d'autant que les femmes représentent 40 % de l'exil", précise Mme Garcia. Parmi ces "Espagnols en salle d'attente", comme l'écrit la presse, les cas particuliers se multiplient. Les plus exceptionnels seront tranchés en conseil des ministres : comme pour les descendants de Francisco Gonzalez Escudero, mort en 1945 en combattant dans la Résistance française, à qui le ministère de la justice a nié la nationalité espagnole sous prétexte qu'il avait "servi sous les drapeaux français".

La simple collecte des pièces justificatives est un casse-tête. Retrouver l'extrait d'acte de naissance d'une personne née dans l'Espagne profonde du début du XXe siècle peut être mission impossible. "Un certificat de baptême fait l'affaire, mais l'Eglise n'ouvre pas toujours volontiers ses archives", déplore Fabien Garrido. Son père a franchi les Pyrénées en 1939, mais comment le prouver sans les documents de l'époque ? "Ironie du sort, c'est grâce aux archives de la Sûreté franquiste qu'on a pu trouver une trace de lui comme responsable d'un camp de réfugiés dans les Pyrénées-Orientales."

Ce parcours du combattant de la paperasse, Enrique Urraca ne le mènera pas. Il est pourtant en possession de la carte de réfugié politique de son père. "Nous sommes partis en 1958, or la loi ne bénéficie qu'aux exilés de 1936 à 1955. C'est arbitraire, il y en a eu jusqu'à la fin de la dictature", regrette-t-il. Il avait 12 ans quand son père s'est fixé dans le Gers. A 63 ans, le voilà installé à nouveau en Espagne. La double nationalité lui conviendrait bien, car, avoue-t-il, il se sent "français en France et espagnol en Espagne". Impossible de reprendre sa nationalité sans perdre la française. Alors, conclut-il : "S'il faut choisir, je reste français, car c'est la France qui m'a construit."

Le dilemme est encore différent pour ceux qui composent avec trois identités. C'est le cas de Llibert Tarrago, né en Auvergne de parents catalans. Auteur du Puzzle catalan, la nation fiévreuse (Editions Autrement, 270 pages, 20 euros), ce journaliste, fils d'un républicain qui fut déporté de France à Mauthausen, partage sa vie entre Paris, Brive et Barcelone.

L'idée de devenir espagnol l'a-t-elle effleuré ? "Je suis très sûrement français par citoyenneté, probablement catalan en raison de ma deuxième culture, et vaguement espagnol comme complément d'origine. Alors, soyons honnête, c'est non ; il faudrait que je me ressente réellement espagnol, et j'aurais du mal avec un roi perché sur l'épaule."

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