jeudi 10 juin 2010

Rendre les oeuvres d'art ? Aberrant !

Par Jean Pierrard

Exiger des musées européens la restitution de chefs-d'oeuvre, c'est insulter à la fois l'histoire et la géographie.

Pas un jour sans que l'on réclame une oeuvre à cet Occident que certains trouvent décidément haïssable... Il y a quelques semaines, encouragée par Zahi Hawass, le très nationaliste patron des antiquités égyptiennes, une campagne de presse exigeait, entre autres, le retour au Caire du célébrissime buste de Néfertiti. Désormais figure de proue du Neues Museum de Berlin, n'ayant rien perdu de sa fraîcheur et de ses couleurs, cette effigie en calcaire, vieille de près de 3.500 ans, représentant l'épouse du pharaon Akhenaton (Aménophis IV), est devenue l'une des icônes culturelles de l'Allemagne, à côté de tel tableau de Dürer ou de Manet. Dans l'immédiat après-guerre, le déplacement et l'exposition de cet "unicum" avaient été perçus par beaucoup d'Allemands comme le signe d'un retour à la paix et à une vie normale.

Pourquoi l'Allemagne devrait-elle restituer une oeuvre découverte par l'un de ses archéologues et sortie d'Égypte au début du XXe siècle dans les mêmes conditions que des milliers d'autres ? Et si on remet en question l'acquisition de Néfertiti, pourquoi ne pas faire de même avec la Vénus de Milo , achetée par un diplomate français, le marquis de Rivière, à un paysan de l'île grecque de Milo, alors sous domination turque, dont le terrain jouxtait, qui plus est, la résidence d'un prince de Bavière ? Personne en France, aujourd'hui, n'aurait l'idée de réclamer aux États-Unis les vestiges médiévaux acquis un peu partout dans l'Hexagone à la fin du XIXe siècle, qui font maintenant l'orgueil des cloisters , à New York, ou du musée de Philadelphie.

Allers-retours

Considérable depuis la Renaissance, l'intérêt pour l'art grec et ses copies romaines avait été stimulé, il est vrai, depuis le milieu du XVIIIe siècle par les découvertes archéologiques de Pompéi et d'Herculanum. Après 1800, les grands musées, qui viennent d'être créés, rêvent tous d'accueillir ces sculptures mythiques, remarquées par Pline ou Pausanias, surgies de leurs gangues de terre comme des diamants, après un sommeil de près de deux mille ans.

Environ deux décennies avant la découverte de la Vénus de Milo , l'ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de la Sublime Porte, lord Elgin, n'avait-il pas arraché au Parthénon la plupart de ses reliefs, frises et métopes ? La Grèce n'ayant pas encore conquis son indépendance, c'est à Constantinople que lord Elgin demanda les autorisations pour détacher les marbres et les mettre à l'abri d'un musée, en Grande-Bretagne. Au British Museum, les oeuvres attribuées à Phidias allaient trouver un écrin certainement plus protecteur que celui offert par un monde ottoman réputé peu favorable aux images de dieux païens.

La polémique autour de la "propriété" des trésors déplacés ne date pas d'hier. On ne connaît que trop les ventes forcées de toiles italiennes sous la pression des envahisseurs français et les allers-retours de chefs-d'oeuvre entre la France et l'Italie. Volés à Byzance par les Vénitiens lors de la quatrième croisade, les chevaux de Saint-Marc sommaient, au début des années 1800, l'arc de triomphe du Carrousel aux Tuileries. Après Waterloo, le congrès de Vienne (1815) les rendit à une Italie sous domination autrichienne, suscitant, au passage, les plaisanteries d'un original anglais, le major Frye : "Qui sait si les chevaux ne sont pas destinés à retourner un jour dans leur pays d'origine, la Grèce, peut-être sous des auspices russes ?"

Universalité

Les réclamations au sujet des frises du Parthénon par une opinion grecque volontiers oublieuse des étagements successifs de l'histoire et des désordres liés à la libération de leur pays ne sont donc pas si neuves que cela... Au Louvre, qui conserve une partie de la frise et deux métopes sculptées du Parthénon, ces revendications nationalistes sont accueillies avec détachement. "Un musée est d'abord la vitrine de la beauté du monde, l'art dépassant l'idée de milieu dans lequel il est né", souligne le patron des antiquités grecques et romaines du Louvre, Jean-Luc Martinez, en insistant sur la notion d'"universalité", raison d'être de tous les grands musées du monde.

Un raisonnement que le bouillant Zahi Hawass, vice-ministre égyptien de la Culture, entend avec difficulté. Galure de cuir à la Indiana Jones, formules frappées au coin du marketing américain - conférences fracassantes et souvent payantes... -, cet archéologue ne cesse de réclamer le retour en Égypte d'un certain nombre de pièces, sans être toujours soutenu en haut lieu. Certes, il a déjà pu récupérer quatre morceaux d'un décor peint acheté par le Louvre et rendu en grande pompe par Nicolas Sarkozy : les pièces, ce que le Louvre ignorait au moment de l'achat, étaient récemment et illégalement sorties d'Égypte.

Offrande

Pour le reste, les déclarations de cet archéologue formé outre-Atlantique, volontiers fanfaron, laissent surtout deviner une certaine exaspération vis-à-vis des vieilles nations européennes comme la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie, très présentes depuis longtemps le long du Nil. L'Indiana Jones cairote serait pourtant bien inspiré de se rappeler ce que l'Égypte doit à l'archéologie française, en particulier à Auguste Mariette (1821-1881), qui a fondé, sous l'autorité du gouvernement égyptien, l'actuel musée du Caire et ses collections, et interdit toute sortie d'objet réputé unique. C'est grâce à ces principes que le trésor de Toutankhamon est resté en Égypte. Nasser fut le premier à comprendre le désintéressement des archéologues français. Le raïs insista personnellement, rappelle, avec malice, Guillemette Andreu-Lanoë, directrice du département des antiquités égyptiennes au Louvre, pour que les archéologues français reviennent sur les chantiers de fouilles de Karnak.

L'Égypte moderne est loin d'avoir toujours eu à l'endroit de l'Occident le comportement suspicieux de Zahi Hawass. Si, à New York, le visiteur du Metropolitan Museum peut rêvasser de façon charmante devant le petit temple de Dendour (15 après J.-C.), c'est parce qu'il a été offert par l'Égypte en remerciement de l'aide apportée par les États-Unis lors du pharaonique déménagement d'Abou Simbel. De la même façon, l'Égypte a offert à la France un buste colossal d'Akhenaton, aujourd'hui au Louvre.

Accord et légitimité

S'il est légitime de faire la chasse aux nombreux objets d'art volés ou sortis illégalement, il paraît difficile de remettre en question le statut d'oeuvres acquises dans des contextes historiques et géopolitiques aujourd'hui disparus. Les problèmes nés du rétrécissement progressif de l'Empire ottoman ne concernent pas seulement la Grèce, mais aussi le Moyen-Orient. À l'époque des premières fouilles archéologiques dans la région, ni la Syrie, ni la Jordanie, ni l'Irak n'avaient d'existence politique. Il suffit d'être attentif aux circonstances ayant précédé la découverte de certaines sculptures fameuses, par exemple le Code d'Hammourabi (lire notre article), pour comprendre qu'autour du Tigre et de l'Euphrate, la valse des populations et des cultures n'a jamais cessé depuis le néolithique.

Signée en 1970 sous l'égide de l'Unesco, une convention internationale rend en principe impossibles les recours pour les oeuvres acquises avant cette date. Cet accord n'en a pas moins supporté des exceptions, comme le contentieux lié aux exactions commises durant la Seconde Guerre mondiale. L'Italie a rendu en 2003 à l'Éthiopie l'obélisque d'Aksoum, volé en 1937 par Mussolini lors de son expédition africaine. Les biens dérobés par les nazis ont la plupart du temps été restitués à leurs propriétaires, grâce en particulier à ces monuments men issus de l'armée américaine. Un livre (1) raconte leurs recherches, dès 1945, jusque dans les mines de sel allemandes et autrichiennes, où les oeuvres avaient été stockées. Il souligne aussi le rôle remarquable de Rose Valland, signalant que les musées français, dans ce domaine, ont fait leur devoir.

De même, depuis quelques années, s'est-on penché sur le problème des "restes humains". La tête maorie conservée par le Museum de Rouen et réclamée par la Nouvelle-Zélande a provoqué un fiévreux débat. Finalement, le 4 mai, c'est une loi qui a autorisé la restitution de seize crânes à Auckland. Ces morts sans sépulture, appartenant à des sociétés souvent décimées, choquaient, on le comprend. Que leurs descendants directs réclament leurs "restes", quoi de plus légitime ? À condition qu'on puisse établir un lien entre les morts et ceux qui les réclament. Sinon, quid des innombrables momies qui circulent dans le monde ?

http://www.lepoint.fr/culture/2010-06-10/polemique-rendre-les-oeuvres-d-art-aberrant/249/0/465384

Breyten Breytenbach

L'écrivain afrikaner et compagnon de Mandela fait le bilan de l'après-apartheid et confie ses craintes et espoirs

Le Nouvel Observateur . - Dans votre nouveau livre, «le Monde du milieu», vous publiez une lettre à Mandela pour ses 90 ans en 2008. Lors de son arrivée au pouvoir, en 1994, vous lui aviez déjà écrit une lettre ouverte en soulignant que «votre loyauté revêtirait la forme d'une opposition vigilante». Qu'est-ce qui a changé en Afrique du Sud entre vos deux lettres ?

Breyten Breytenbach. - La déception est à la mesure de mes propres illusions. Il y a une grande amertume face à ce que l'ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir, est devenu. La situation est pire qu'il y a quinze ans, quand nous avions le coeur plein d'optimisme et que nous croyions à un changement vers la justice sociale et économique. Nous pensions pouvoir faire vivre cette notion de Nelson Mandela de «nation arc-en-ciel»; c'est-à-dire mener à terme ce processus, représenté par l'ANC, de promotion d'une véritable nation sud-africaine, forcément hybride puisque formée de composantes très diverses. Mais ce processus a été interrompu, non tant par Mandela que par son successeur, Thabo Mbeki. Cependant, même si Mandela a quitté la scène politique, il est toujours identifié totalement à l'ANC Il avait bien dit un jour que la première chose qu'il ferait une fois arrivé au ciel serait de demander où il faut s'inscrire à l'ANC. Depuis 1994 et l'arrivée au pouvoir de l'ANC, beaucoup de choses ont changé, bien sûr. On a vu l'ascension d'une génération d'hommes politiques, et surtout la participation d'une population auparavant exclue de toute forme d'activité politique légale et économique aussi, dans une certaine mesure. Mais on a en même temps assisté à la détérioration des institutions, à la montée de la corruption à grande échelle et à la multiplication des promesses économiques et sociales non tenues. Le gouffre qui sépare les riches et les pauvres est devenu plus profond qu'il y a quinze ans. Avec cette différence que, parmi les riches, se trouvent aujourd'hui beaucoup de cadres de l'ANC.

N. O. - Dans cette dernière lettre à Mandela, vous écrivez «la façon obscène dont on a fêté ses 90 ans» et dénoncez la violence, les vols, les viols, la poursuite du racisme, l'absence de morale publique... Un terrible constat. Comment en est-on arrivé là ?

B. Breytenbach - C'est la grande question que beaucoup de Sud-Africains se posent. Nous serions-nous à tel point trompé sur la qualité morale du mouvement de libération et de ses responsables ? Est-ce que le pays était finalement un cadeau empoisonné pour ceux qui en ont hérité ? On évoque rituellement la «libération de l'Afrique du Sud», mais celle-ci ne s'est pas déroulée de façon classique : il n'y a pas eu de Grand Soir ni la fin d'une guerre. Notre libération a été le résultat d'un long processus, qui d'ailleurs garantissait la continuation du même Etat. Ce qui pose encore de nombreux problèmes, puisqu'un certain nombre d'anciens responsables et criminels de guerre notoires sont encore protégés par l'Etat. Par ailleurs, le pays était probablement plongé au moment de l'arrivée au pouvoir de l'ANC dans un désordre beaucoup plus profond qu'on ne le croit. L'ANC a-t-il alors failli à sa mission ? Plusieurs facteurs ont joué simultanément. Quand on a voulu changer les institutions de l'intérieur, il fallait bien remplacer des fonctionnaires par de nouveaux. En faisant cela, on s'est privé énormément de compétences. Aujourd'hui, par exemple, il paraît que 60% des municipalités du pays seraient en faillite, essentiellement à cause de l'incurie des nouveaux gestionnaires locaux. On peut dire tout le mal qu'on veut des anciens cadres administratifs, mais ils étaient le produit d'une caste d'apparatchiks qui géraient relativement bien le pays. D'ailleurs, l'ANC a hérité d'une bonne infrastructure, avec ses routes, écoles, universités, hôpitaux...
Mais derrière tout ça il y a des raisons d'ordre culturel ou psychologique plus difficiles à identifier. L'ANC est une très ancienne organisation qui a énormément souffert pendant ses années de clandestinité, où elle connut l'isolement, les traques perpétuelles et l'obsession d'être infiltrée. Dans son ADN, il y a une forte composante de victimisation, presque paranoïaque. Encore aujourd'hui, dès qu'elle est critiquée, elle riposte immédiatement en disant : «Vous ne pouvez pas comprendre ce que c'est que d'avoir été dans la résistance pendant si longtemps et d'avoir tant souffert pour libérer le pays.» Il y a aussi ce mythe persistant de l'ANC : cette organisation qu'on appelle «la Tente» (the Great Tent ou la Grande Eglise) et qui regroupait toutes les tendances anti-apartheid. Ca allait de la gauche (même la gauche du Parti communiste) jusqu'aux milieux les plus traditionalistes du pays. D'où la revendication impérieuse d'une unité qu'il fallait préserver par tous les moyens. La solidarité au sein de l'ANC prime sur toute autre considération. Et lorsque certains de ses cadres, dont Jacob Zuma, aujourd'hui président, sont accusés de corruption, il est presque impossible pour l'ANC de trouver de l'intérieur la force morale nécessaire pour nettoyer ses propres écuries. Cela a donné lieu à une espèce de généralisation de l'impunité. Et quand on est pris sur le fait, au lieu d'être démis de ses fonctions, on est simplement «redéployé» ailleurs. On appelle ça le «déploiement des cadres». Résultat : un tiers du comité exécutif de l'ANC est constitué de gens soit inculpés, soit qui ont été inculpés pour des méfaits graves, fraude, vol d'argent, détournement de fonds publics... C'est la raison pour laquelle on a aboli cette section spéciale des Scorpions qui avait été créée justement pour traquer les crimes économiques. On vient de signer il y a quelques mois son arrêt de mort parce que trop de responsables ANC étaient impliqués. Nous sommes de fait dans un Etat de parti unique, avec tous les risques de «dérive totalitaire» que cela implique.

N. O.- Jacob Zuma vient d'être élu président le 6 mai après la victoire de l'ANC aux élections le 22 avril avec 65,9% des suffrages. Jacob Zuma a été acquitté du viol dont il était accusé, et les poursuites pour corruption dont il était l'objet ont été abandonnées. Que pensez-vous de lui ?

B. Breytenbach. - Je ne l'ai rencontré qu'à deux ou trois reprises. C'est un homme charismatique. Un vrai traditionaliste, très fier du soutien de la communauté zouloue et d'être polygame et grand danseur traditionnel. Son passé est riche. Il a connu les prisons, l'exil et les épreuves de la résistance. Mais il y a une zone d'ombre liée à ses responsabilités à la tête d'un organe interne de sécurité de l'ANC Il a été conduit à réprimer très durement les tentatives d'infiltration de l'ANC, surtout dans les camps en Angola. Il y a un certain nombre de faits sur lesquels on a jeté un voile. Par exemple, le frère de l'actuel président du Conseil constitutionnel a été exécuté par l'ANC à l'époque où Zuma en dirigeait la sécurité. Certaines personnes torturées par l'ANC disent que Zuma y aurait participé... Ca fait partie de l'histoire très complexe d'un homme qui a lutté dans des circonstances difficiles. Alors va-t-il être à même d'unifier le pays ? Les premiers signes sont encourageants. Il est allé à la rencontre de toutes les composantes du pays. Il a pris langue avec les métis, les Indiens, les milieux d'affaires, les Afrikaners... Est-ce que ça veut dire qu'il va reprendre le bâton de «batteur de nation» de Nelson Mandela ? Il l'affirme. Mais ne va-t-il pas être le prisonnier de ceux qui l'ont porté au pouvoir ? Car il ne faut pas oublier qu'il a bénéficié d'une révolte interne à l'ANC, essentiellement soutenue par les syndicats et par le Parti communiste sud-africain. Ne sera-t-il pas obligé de donner un coup de barre à gauche, et quelles en seraient les conséquences pour l'économie du pays ? Il y a un certain nombre de tensions, qu'il est en train de gérer au sein même de son conseil des ministres et au sein de son parti, qui ne sont pas très claires. Ne sera-t-il pas ligoté par la nécessité de passer des compromis entre ces différentes factions ? Il n'est plus tellement jeune, et il semble difficile qu'il brigue un second mandat. Peut-être finalement ne sera-t-il qu'une figure de transition ?

N. O. - Vous avez connu l'exil après avoir épousé une Eurasienne et été accusé de crime en vertu de l'«Immorality Act» et du «Mixed Marriages Act», qui interdisaient les relations sexuelles et les mariages interraciaux. Vous avez fondé Okhela, une organisation anti-apartheid, puis été condamné en 1975 après votre retour clandestin en Afrique du Sud à neuf ans de prison (vous y avez passé sept ans, dont deux en isolement). Devant la situation actuelle, le résistant que vous êtes éprouve-t-il de la désillusion ou plutôt de la colère ?

B. Breytenbach. - Il m'est difficile de continuer d'être en colère parce que ça suppose qu'on ait encore les moyens de pouvoir en faire quelque chose. J'ai très fortement le sentiment - et je ne suis sûrement pas le seul - d'être marginalisé. Mais c'est tout à fait normal. Après tout, il y a une autre génération sud-africaine qui a déplacé le centre de gravité. Autrefois, quand quelqu'un comme moi, blanchâtre d'origine afrikaner, était dans la résistance, il avait une possibilité réelle de peser sur l'état d'esprit de ceux qui étaient au pouvoir puisqu'ils tenaient beaucoup à leur propre identité d'Afrikaner. Ils justifiaient leur pouvoir par leur différence, et en particulier par celle de la langue, l'afrikaans, à laquelle ils étaient très attachés. C'est une époque révolue. Ma voix ne compte strictement pour rien dans l'ANC aujourd'hui. On calcule grossièrement qu'il y avait 5 millions de Blancs dans le pays (et encore, quand on dit «Blancs» on inclut les métis clairs) à la fin de l'apartheid. Il y en a peut-être 1 million qui sont déjà partis. Donc 4 millions sur 47 millions de la population, environ 10%, c'est peu. Je n'ai pas du tout l'impression d'avoir la possibilité de mêler ma voix à celle de la majorité. Il n'y a pas non plus, d'ailleurs, un foyer dans lequel on peut se faire entendre au sein même des Afrikaners. On est à couteaux tirés parce qu'on règle d'anciens comptes. Bref, ça va dans tous les sens, il y a énormément de sentiment de colère, de rejet, d'abandon... Si on regarde la situation, pour quelqu'un comme moi, où serait l'endroit pour intervenir d'une façon utile ? Je n'en vois pas. Mais ce constat n'est pas forcément définitif.

N. O. - Dans «le Monde du milieu», vous vous revendiquez comme un «bâtard africain». N'êtes-vous pas un homme au milieu du gué ? Avec le poids du passé et de la colonisation, quelle place peut avoir un Blanc en Afrique aujourd'hui ?

B. Breytenbach. - J'aurai deux réponses tout à fait contradictoires. Ma première serait que, finalement, le Blanc n'a pas sa place en Afrique. Parce que sa présence n'était au fond qu'un intermède lié à l'histoire coloniale. Et d'une façon, générique ou biologique, ce n'est pas notre place. Encore que ça aille contre le courant de l'histoire, parce que le monde est devenu un tel va-et-vient de migrations. Je me sens pourtant aussi pleinement un citoyen africain. Mais presque par défaut, dans le sens où je sais bien, quand je suis en Europe, que je ne suis pas européen; que quand j'enseigne une partie de l'année aux Etats-Unis, je ne pourrais jamais devenir américain. Je sais très fortement (et je ne cherche pas forcément à savoir pourquoi) que je m'identifie toujours à l'Afrique dès qu'il y a un conflit entre le continent africain et le reste du monde.(...)


Poète, peintre, romancier, Breyten Breytenbach est né en Afrique du Sud. Il dirige depuis des années à Gorée, au Sénégal, un institut de recherche panafricain pour le développement de la culture et de la démocratie. Il est l'auteur de nombreux livres dont «Une saison au paradis». Il vient de publier chez Actes Sud un recueil d'essais : «le Monde du milieu».


http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/les-debats/085975/afrique-du-sud-la-grande-desillusion.html

mercredi 9 juin 2010

Pourquoi les françaises sont-elles plus sexy que les anglaises?

Slate

Si les Français le disent, ils peuvent être taxés d'anti-British. Quand les Anglais le disent, on peut les soupçonner de manque d'élégance. Mais quand c'est une Anglaise qui se le demande... Le débat? Pourquoi les Françaises sont-elles plus sexy que les Anglaises? C'est Kate Carter, du Guardian qui se lance dans l'explication.

Si l'article ne donne pas vraiment de réponse à la question, il nous raconte sans scrupules ce qui se dit outre-Manche. D'après la journaliste, rien n'illustre mieux le décalage France-Angleterre que le monde de la lingerie. Et pour preuve le mot lingerie. Un mot français, sans équivalent en anglais.

"Notre gêne est telle qu'on a même pas été capable d'inventer notre propre mot."

Et quand les designers anglais s'aventurent à dessiner de la lingerie sexy, à quels noms pensent-ils? Agent provocateur, Coco de mer. La langue française, garantie de la classe?

Il faut dire que les Françaises mettent les moyens nécessaires pour conserver leur titre. On apprend que nous dépensons 20% de leur budget mode en lingerie –«à peu près l'équivalent de ce que les Anglaises dépensent en chips au sel et au vinaigre», s'amuse l'auteure.

L'article rappelle aussi l'existence d'une quantité de livres qui conseillent aux rosbifs –c'est Kate Carter qui emploie ce mot– des pistes pour imiter les Françaises, et nous donne bien envie de mettre les pieds dans une libraire pour y trouver Comment les Françaises font-elles pour manger aussi gras et rester minces.

Les Anglaises moins sexy, mais aussi moins préoccupées par leur vie sexuelle? Une étude de 2007 du Journal Européen de Gynécologie montre que 33% des femmes anglaises de 40 à 50 ans pensent qu'une vie sexuelle active n'est pas importante, alors que les Françaises du même âge ne sont que 10% à penser la même chose.

Face à tous élements, le constat du Guardian est sans appel:

"Mais que peuvent faire les Britanniques quand à un appel de l'Association des Maires de France en 1999 pour une nouvelle égérie de Marianne, la France propose Laetitia Casta, pour succèder à Brigitte Bardot et Catherine Deneuve... alors que nous n'avons qu'un bouledogue baveux ? "

dimanche 6 juin 2010

Israël: manifestation à Tel-Aviv contre la poursuite de l'occupation

C'est pas dans un pays arabe qu'on verrait ça!
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AFP

Des milliers d'Israéliens, juifs et arabes, ont manifesté samedi soir à Tel-Aviv à l'appel d'organisations de gauche contre la poursuite de l'occupation des territoires palestiniens, à l'occasion du 43e anniversaire de leur conquête en 1967, selon un journaliste de l'AFP.

Plus de 7.000 manifestants ont défilé dans le centre de Tel-Aviv, dénonçant un "gouvernement qui coule Israël au lieu de naviguer vers la paix", en allusion à l'assaut meurtrier de la marine israélienne contre la flottille d'aide venue briser le blocus israélien de Gaza qui a fait neuf morts civils lundi.

Des incidents se sont produits avec un groupe de quelques dizaines de contre-manifestants d'extrême droite: une grenade fumigène a été lancée contre la manifestation de gauche et l'ex-député Uri Avnery a été violemment pris à partie à la fin de la manifestation.

Les orateurs ont appelé à cette occasion à lever le blocus de Gaza et à autoriser les bateaux d'aide internationaux à accoster dans l'enclave palestinienne.

Arborant des drapeaux israéliens et palestiniens, les manifestants ont scandé: "Israël, Palestine, deux Etats pour deux peuples" et "Nous aimons notre pays mais avons honte de son gouvernement".

La manifestation, autorisée par la police et protégée par un important service d'ordre, était organisée par un collectif de mouvements anti-occupation de gauche et d'extrême-gauche, notamment le parti sioniste de gauche Meretz, la liste communiste Hadash et le mouvement anti-colonisation, la Paix Maintenant.

jeudi 3 juin 2010

Une aubaine pour la Grèce

Le gouvernement israélien a interdit à ses ressortissants de se rendre en vacances dans un pays en guerre diplomatique et les agences de voyages devront trouver une destination de rechange aux 600.000 israéliens qui s'y rendaient chaque année. Ils réorienteront sans doute ces touristes vers la Grèce qui y verra une aubaine au moment où le pays traverse une crise économique considérable.

mardi 1 juin 2010

Les étudiants plus nombreux à partir à l'étranger

En 2008-2009, la France a enregistré une augmentation de 9 % de ses jeunes hors des frontières.

Les étudiants français se décideraient-ils plus facilement à effectuer une année à l'étranger ? La France a obtenu une augmentation de 9 % du nombre de ses étudiants partis en année Erasmus pour l'année 2009-2010, selon les chiffres de l'agence Europe éducation formation France. Cette année-là, 28.283 jeunes ont participé au programme européen, rendu célèbre par le film L'Auberge espagnole, contre 25.942 l'année précédente. La France passe ainsi devant l'Allemagne qui occupait jusqu'alors la première place.

Cette augmentation est liée pour l'essentiel à la croissance des séjours effectués dans le cadre de stages : quelque 4723 jeunes sont partis un stage en poche, contre 3389 en 2007-2008, soit près d'un tiers d'augmentation. Un chiffre dont le ministère de l'Enseignement supérieur se réjouit alors que le nombre de jeunes partis dans le cadre d'un échange purement universitaire avait baissé l'an dernier. Il augmente légèrement cette année.

Ce progrès, l'agence le met sur sa promotion accrue du programme Erasmus. Dans l'entourage de Valérie Pécresse, on avance l'élargissement du nombre de bourses étudiantes et leur revalorisation depuis 2008. L'an dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur s'était à plusieurs reprises inquiétée du fait que «contrairement à l'idée reçue selon laquelle la mondialisation aurait un effet entraînant, les étudiants français sont de moins en moins mobiles» . Elle évoquait même «une absence de désir de mobilité chez les jeunes» .

En dépit de chiffres plus encourageants, des milliers de bourses prévues par le gouvernement ne trouvent en réalité pas preneur chaque année. Sur plus de 27 000 bourses mises à disposition en France, 4000 n'ont ainsi pas été utilisées en 2008.


Compatibilité de diplômes

Le chiffre de ces 28.283 jeunes reste par ailleurs bien modeste en comparaison du million trois cent mille étudiants inscrits dans les universités françaises. Certes, d'autres jeunes partent effectuer une année d'étude à l'étranger en dehors d'Erasmus, de leur propre chef ou grâce à des accords particuliers d'échanges signés, par exemple, entre leur école de commerce et telle ou telle autre institution de l'enseignement supérieur. Mais même avec l'aide d'une bourse, l'échange à l'étranger reste toutefois un luxe que beaucoup ne se permettent toujours pas.

Autre point noir, les problèmes de compatibilité de diplômes. En dépit du système européen LMD (Licence-master-doctorat), qui a pour intérêt de passer d'un établissement à l'autre sans perdre une année d'études, des étudiants se plaignent régulièrement de ne pas avoir réussi à faire reconnaître leur diplôme étranger. Au point que certains ont encore à repasser des épreuves en rentrant en France. Plus rarement, ils se voient même dans l'obligation de «redoubler». En pleine mutation, le système Erasmus s'oriente depuis peu vers les stages plébiscités par les étudiants. L'envie d'exotisme portée par L'Auberge espagnole ne suffit plus. Les étudiants sont plus inspirés par des perspectives d'insertion professionnelle.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/05/31/01016-20100531ARTFIG00708-les-etudiants-plus-nombreux-a-partir-a-l-etranger.php

L'Afrique et ses élites prédatrices

Lemonde.fr

A propos de l'interviewé
Ibrahima Thioub, 54 ans, est sénégalais et professeur d'histoire à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. Spécialiste des traites négrières, de l'esclavage et de la décolonisation, il a participé à l'ouvrage L'Afrique de Sarkozy, un déni d'histoire (Karthala, 2008). Il est actuellement résident à l'Institut d'études avancées de Nantes.


Considérez-vous les indépendances africaines comme une réalité ?

Formellement, les Etats ont accédé à la souveraineté internationale en 1960. Mais ce changement juridique ne signe pas la fin de la colonisation, c'est-à-dire d'une exploitation économique doublée d'une soumission à une autre culture.

Après 1945, le rapport colonial ne pouvait plus se maintenir car la participation des Africains à la seconde guerre mondiale l'avait radicalement transformé : ils avaient pris conscience que l'égalité était possible, d'autant que d'autres territoires colonisés réclamaient leur émancipation.

Pourquoi la France a-t-elle cependant gardé la main ?

La métropole a su négocier une sortie la plus favorable possible. Elle a transféré le pouvoir aux segments du mouvement nationaliste les plus à même de préserver le lien colonial. Elle a éliminé les plus radicaux par la répression sanglante comme au Cameroun ou par la manoeuvre politique, comme en Côte d'Ivoire ou au Sénégal.

Vous soulignez la prise de conscience des tirailleurs et les luttes syndicales engagées après la guerre. Les instruments de la contestation ont-ils été transmis par le colonisateur lui-même ?

Oui, et c'est là un des grands problèmes de la décolonisation. Les dominés se réapproprient le discours du colonisateur pour le retourner contre lui, construire leur propre identité et légitimer leur combat. Pour affirmer leur unité, ils se définissent par référence à l'élément le plus simple : la couleur de la peau, ou la négritude chère à Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Ce faisant, ils ne sortent pas du système et s'enferment dans le piège d'une identité que j'appelle "chromatique".

Car la couleur de la peau est l'élément qui fondait non seulement l'ordre colonial mais aussi la traite négrière. Réduire les Africains à ce facteur naturel symbolisant leur prétendue sauvagerie servait à les expulser de l'Histoire.

Comment ce piège a-t-il fonctionné ?

Les nationalistes ont récupéré cette identité et l'ont inversée pour démontrer que l'Afrique a une civilisation et une histoire, la négritude. Mais l'acceptation de cette définition chromatique a empêché de voir que les Africains forment des groupes aux intérêts très variés, plus ou moins accommodants avec le pouvoir colonial.

Jusqu'à aujourd'hui cette vision raciale produit des effets pervers : quand un bourreau est africain et noir, on a du mal à le traduire en justice pour peu que les juges soient blancs, alors que ce serait l'intérêt des victimes qui peuvent être noires.

Vous contestez le récit de la traite négrière qui en fait un pur pillage des Africains par les Blancs. Pourquoi ?

La vision "chromatique" de l'Afrique aboutit à une vision fausse de l'esclavage. La traite ne se limitait pas à la vente de Noirs à des Blancs dans des ports africains. Elle englobe la manière dont les esclaves étaient "produits" à l'intérieur du continent et acheminés sur la côte.

Ce système atlantique était une organisation globale, qui mettait en relation, dans un partenariat asymétrique mais intéressé, les compagnies européennes avec des élites africaines. Celles-ci utilisaient la traite pour redéfinir les rapports de pouvoir sur le continent.

En quoi la responsabilité des élites africaines renvoie-t-elle à l'histoire des indépendances ?

Dans n'importe quelle ville africaine, je suis frappé par la coexistence entre le grand nombre de 4 × 4 de luxe, et l'usage d'un moyen de transport qui remonte au néolithique, la tête des femmes.

Cela signifie que les élites, au prix d'une violence extrême exercée sur les populations, s'emparent des ressources du pays, les exportent, et dépensent les recettes ainsi dégagées en achetant à l'étranger des biens d'une totale inutilité sociale autre que symbolique de leur capacité de violence. Ils ruinent les pays en pompant la force de travail des corps subalternes qui sont réduits à la misère.

La réponse de la partie la plus dynamique de ces populations, c'est la fuite, les pirogues vers l'Europe.

Il ne s'agit pas d'esclavage...



En quoi cela se distingue-t-il de la traite ?

A l'époque, des compagnies européennes apportaient en Afrique des biens tout aussi inutiles et destructeurs, comme la verroterie, l'alcool et les armes. Elles les remettaient aux élites qui organisaient la chasse aux esclaves. Déjà, le pillage permettait aux élites d'accéder aux biens de consommation importés. Aujourd'hui, le système s'est perfectionné puisque les esclaves se livrent eux-mêmes : ce sont les émigrés.

En quoi ce parallèle éclaire-t-il la question de l'indépendance des Etats africains ?


Si vous voulez comprendre le système de la traite négrière, observez le comportement actuel des élites africaines. Pourquoi nos systèmes de santé et d'éducation sont-ils aussi vétustes ? Parce que les élites ne s'y soignent pas et n'y éduquent pas leurs enfants, ils préfèrent les pays du Nord. Leur système de prédation ruine les campagnes et contraint les populations à s'exiler. Au point qu'aujourd'hui, si vous mettez un bateau dans n'importe quel port africain et proclamez que vous cherchez des esclaves pour l'Europe, le bateau va se remplir immédiatement.

Certes, ce système fonctionne au bénéfice des multinationales, mais il n'existerait pas sans des élites africaines. A l'époque de la traite négrière, l'alcool et les fusils achetés aux Européens leur permettaient de se maintenir au pouvoir. Désormais ce sont les 4 × 4 et les kalachnikovs.

Beaucoup de discours expliquent les malheurs de l'Afrique par la traite négrière et magnifient la résistance des Africains à la colonisation. Vous vous inscrivez en faux ?

Les traites esclavagistes et la colonisation ont certes ruiné l'Afrique. Les Africains qui en étaient les victimes leur ont opposé une farouche résistance. Les discours qui unifient les Africains autour de la couleur de la peau étaient nécessaires pour lutter contre le colonialisme. Ils ne servent plus maintenant qu'à masquer la réalité de notre soumission aux pays occidentaux.

L'Afrique est aujourd'hui convoitée par des puissances (Chine, Inde, Brésil, etc.) sans lien colonial avec elle. Ce contexte nouveau peut-il faciliter une nouvelle émancipation ?

A l'époque de la guerre froide, les leaders africains jouaient déjà l'Occident contre le communisme pour obtenir le maximum. Aujourd'hui, ils peuvent miser sur la Chine, l'Inde, l'Iran, contre l'ancienne puissance coloniale, mais ils conservent leur culture de prédation. Pour les peuples africains, cela ne change rien. Tant que nos élites se contenteront de multiplier leurs partenaires pour leur livrer les matières premières et non développer la production, elles reproduiront le système qui a mis l'Afrique à genoux.

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Il faut arrêter de pleurer sur l'Afrique:



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