jeudi 16 juillet 2009

Certains peuples ne comptent plus qu’un seul individu

Pour Fiona Watson, il faut à tout prix se mobiliser contre l'extermination des derniers peuples libres de la planète. Il en va de notre dignité d’êtres humains, déclare la chargée de campagne à l’ONG Survival International.

Propos recueillis par Emilie King via Courrier intl.


Quelle est la situation des tribus d’Indiens non contactés en Amérique latine ?

FIONA WATSON :La situation dans cette partie du monde est extrêmement sérieuse. Ces tribus sont petites et très vulnérables. L’Amazonie est de plus en plus exploitée, notamment par des compagnies pétrolières. Regardez ce qu’il se passe en ce moment au Pérou. [Une révolte a éclaté en juin dans le nord du pays. Les Indiens (non isolés) de la région protestent contre l’exploitation abusive de leurs terres par les multinationales. Cette manifestation a été réprimée par les autorités faisant au moins 200 morts du côté des Indiens.

Partout les Indiens [isolés ou non] sont repoussés jusqu’aux limites de leurs possibilités de survie. Pourquoi les Indiens s’isolent-ils ?

La plupart des peuples indiens dits "non contactés" sont les survivants, ou les descendants, d’actes génocidaires. Ils refusent tout contact avec le monde extérieur tant les violences, massacres et épidémies dont leur groupe a été victime sont ancrés dans leur mémoire collective. Beaucoup d’Indiens d’Amazonie occidentale sont les descendants des rares survivants du boom du caoutchouc qui eut pour conséquence, à la fin du XIXe siècle, l’extermination de 90 % de la population indienne. A cause notamment des mauvais traitements que subissaient les Indiens réduits à l’esclavage pour récolter le caoutchouc. D’autres sont les survivants de massacres plus récents comme les Cinta Larga qui ont été victimes des patrons brésiliens du caoutchouc entre les années 1920 et 1960. Le directeur de la compagnie Arruda, Junqueira & Co avait planifié le massacre sous prétexte que les Cinta Larga se trouvaient sur le chemin de ses activités commerciales. Il affréta un avion à bord duquel furent largués des bâtons de dynamite sur les villages indiens. Ses hommes de main achevèrent ensuite sauvagement les survivants. En 1975, l’un des auteurs du crime, José Duarte de Prodo, a été condamné à dix ans de prison, mais il fut gracié quelques mois plus tard. Il déclara au procès : "Il est bon de tuer les Indiens, ce sont des traîtres et des paresseux.”

Aujourd’hui, que se passe-t-il quand les Indiens se retrouvent en contact avec le monde extérieur ?

Le problème numéro un est celui de la santé. Quand des tribus non contactées sont en contact avec le monde extérieur, cela a un effet absolument dévastateur. Il y a de nombreux exemples au Brésil. Dans les années 1970 et 1980, le gouvernement avait dans un premier temps décidé de les contacter pour les assimiler à la société. La moitié des populations contactées sont décédées. J’ai parlé à un chaman qui fait partie de ces tribus. Il m’a dit qu’ils avaient perdu tous les jeunes et que, maintenant, il ne restait qu’une petite population désorientée et en perte d’identité. [La politique du gouvernement brésilien est actuellement de ne pas contacter les Indiens.]

Comment ces tribus sont-elles restées non contactées ?

Il leur reste certainement des souvenirs traumatisants de cette époque. Ces peuples ont donc choisi de s’enfuir dans les terres et d’y rester cachés. Ils ne veulent plus de contact avec les non-Indiens. Des camps, construits par la Fondation nationale de l'Indien (FUNAI) près des Indiens isolés afin qu’ils puissent prendre éventuellement contact, ont été détruits et dévalisés durant la nuit. Il y a aussi des lances laissées au milieu des chemins pour en interdire l’accès. Quand ces gens veulent prendre contact, ils viennent de leur propre volonté dans les villages.

Comment leur situation a-t-elle évolué ces dernières années ?

Au Brésil, la FUNAI a maintenant une politique adaptée à la réalité. Elle ne contacte ces Indiens que si cela est absolument nécessaire, par exemple pour les avertir d’un projet de barrage hydroélectrique sur leur terre. La FUNAI a également délimité de grandes surfaces de territoire indien protégé officiellement. Cela fonctionne bien là ou la forêt est bien préservée. Mais là où il y a beaucoup de déforestation, les résultats sont beaucoup plus mitigés. Sur place, c’est comme le Far West [une terre sans foi ni loi]. Les Indiens du Rio Pardo, par exemple, sont actuellement chassés. C’est un véritable génocide. Les gens savent qu’ils peuvent les tuer en toute impunité parce qu’il ne leur arrivera rien. Des procureurs fédéraux ont ouvert une enquête pour génocide mais je doute qu’un jour justice soit faite.

Avez-vous rencontré des tribus non contactées ?

Quand j’ai rencontré les Akunsus [un peuple récemment contacté], j’étais très triste parce que je savais que j’avais devant moi les six derniers survivants de ce peuple et que bientôt ils disparaîtraient à tout jamais de la surface de la terre. Tout ce qui fait d’une personne un Akunsu, leur vision du monde, serait perdu à tout jamais. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse connaître leur histoire au monde. Les gens s’émeuvent lorsqu’il s’agit de la disparition d’animaux, mais, ici, nous parlons d’êtres humains.

Quel est le futur pour ces populations ?

Ce sont des humains et ils ont exactement les mêmes droits que nous tous. Les gens sont de plus en plus concernés par le développement durable et notre avenir est aussi entre leurs mains. Là ou il y a de la forêt, il y a des tribus non contactées. Ils en sont les gardiens. Quand nous les aidons, quand nous les soutenons, nous aidons aussi la forêt. Pourquoi devraient-ils sacrifier leur vie pour d’autres ? Leur survie est une question de morale et d’étique. C’est très important. Si nous n’avons pas assez d’espace dans le monde pour eux, alors, quel est le but de la vie ?

Est-ce que les gens sont concernés au Brésil ?

Il y en a qui sont concernés. Beaucoup d’ONG travaillent sur ces problématiques. Mais, dans la presse brésilienne, les Indiens sont toujours présentés comme des êtres exotiques ou comme un obstacle au développement. C’est un débat qui est très polarisé. Le défi est de combler un grand manque d’information. Davi Kopenawa, le chef de la tribu des Yanomamis est récemment venu à Londres pour faire entendre la cause des Indiens. La presse brésilienne avait fait le voyage pour l’interviewer et lui demander pourquoi il était venu à Londres pour parler de ces choses-là. Il a simplement répondu qu’au Brésil il n’avait jamais été invité.

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