mercredi 15 juillet 2009

Un compte bancaire à Singapour, Maurice, Delaware...

Est-il vraiment facile d'ouvrir un compte bancaire à Singapour et d'y planquer sa fortune ? Pour le savoir, notre journaliste est allé sur place et a testé pour vous le dernier grand paradis fiscal du monde. Reportage.

« A qui le tour ? » Une femme, la quarantaine, costume noir impeccable, cheveux longs tout aussi noirs, me sourit et me prie, d'un signe de la main, de m'approcher de son comptoir en marbre noir. Nous sommes dans l'une des nombreuses succursales de la banque DBS à Singapour. « Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? », me demande poliment Debbie. « Je veux ouvrir un compte bancaire. »

Dix minutes à peine après mon arrivée dans cette banque située au rez-de-chaussée d'une énorme tour en verre du quartier Rochor, je tends déjà mon passeport.

- Ah, vous êtes Suisse. Vous habitez ici ? Vous êtes un expatrié ?
- Non, je ne suis que de passage.
- La raison de votre visite ?
- Le tourisme. Mais je veux aussi en profiter pour placer de l'argent à Singapour.
- Pas de problème. Nous sommes à votre service.

Cinq minutes et c'est fait
La dame enregistre ma demande sur un ordinateur avant d'aller photocopier mon passeport. Cinq minutes et tout est déjà terminé. « Voulez-vous un rendez-vous avec un de nos conseillers ? » Oui, mais tout de suite. J'explique que je dois prendre un avion le soir même. Cinq minutes plus tard, Debbie m'amène vers une de ses collègues. Cette dernière veut savoir si je suis résident, quel compte je veux ouvrir et combien je veux placer. Je lâche le morceau : « Plus d'un million de francs ! »

Il faut faire crédible, même si je sais que cette fortune est une broutille par rapport aux trésors des Russes, Indiens ou Chinois qui pullulent dans les palaces de la cité-Etat. Finalement, l'employée me propose de rencontrer un autre conseiller. Départ dans un ascenseur. Direction le premier étage. Je traverse de longs couloirs avant de rejoindre une grande salle d'attente. Canapés chic et tapis au sol. « Nous venons vous chercher dans quelques minutes », me dit-elle en me demandant de m'asseoir.

Cinq hommes et une femme sont déjà là : un Européen et cinq Asiatiques. Pas un mot. Pas un regard. J'engage la conversation. Ils se taisent. Après quelques minutes, monsieur Lee, « senior manager », fonce vers moi. Le jeune homme, au corps svelte et affichant un large sourire, tient mon passeport dans sa main et un dossier avec des prospectus sur la banque.

« Monsieur… comment je dois prononcer votre nom ? », me demande-t-il avant de m'accompagner dans son petit bureau. « Alors comme ça, vous voulez investir votre argent. C'est bien. » Lee me tend un document qui présente son établissement. Un prospectus qui montre deux personnes qui pêchent à la ligne dans un décor crépusculaire. Question sémantique, DBS affiche des intentions très claires. Je suis perdu dans mes pensées. Lee revient à la charge et lance une rafale de questions : « Quelle est votre banque en Suisse ? » UBS. « Ah bien, ça va mal, non, chez UBS en Suisse ? »

Compte privé, compte d'épargne, compte d'investissement, je peux ouvrir ce que je veux à Singapour. Et je peux même le gérer depuis la Suisse grâce à l'e-banking, me précise le banquier. Bref, à Singapour, il est plus facile d'ouvrir un compte que d'acheter du chewing-gum dans les pharmacies, pour lequel il faut un certificat médical d'un dentiste. Et gare aux amendes si on le crache par terre !

Retour à nos affaires. « Mais dites-moi, pourquoi vous sortez cet argent de Suisse ? », me demande Lee, complice. Je bricole un nouveau mensonge sur l'agonie du secret bancaire en Suisse, à la suite des pressions fiscales de l'étranger.
« Je comprends. A Singapour, vous ne risquez rien. Notre secret bancaire est solide. Et ils peuvent toujours venir avec leur liste noire. Notre législation vous protège complètement. Votre pays ne pourra pas obtenir la levée du secret bancaire, même si la fraude fiscale est avérée. »
Un montage sur mesure
Et le banquier de me conseiller d'investir dans l'immobilier, les matières premières ou les devises. Devant mon insistance à ne vouloir que planquer mon argent, il me propose un compte numéroté de placement :
« On peut vous proposer également un montage financier sur mesure. Ici, vous n'aurez aucun souci. Nos investissements sont très variés. »

Ils vont effectivement de la Chine au Moyen-Orient. Le temps file, Lee me bassine avec son charabia technique. Il veut savoir combien je veux verser chaque année. 200 000 dollars ? 300 000 ? Ou plus ? « Ici, vous ne risquez rien, ressasse-t-il. Nous nous occupons de nos clients. Nous leur trouvons les meilleures solutions. »

Puis, plus sérieux et à voix basse, il m'avertit :
« Surtout, ne voyagez jamais avec des documents bancaires, des extraits de compte par exemple ! Pour transférer l'argent, on vous dira comment procéder. »
Des méthodes de blanchiment d'argent sale ? Lee sourit.
« Nous voulons la sécurité pour nos clients, en toute discrétion. Et puis, notre fiscalité est imbattable. Elle est très avantageuse. »

Ce petit miracle s'explique grâce notamment aux trusts offshore, ces investissements qui cachent une partie de l'argent dans des opérations compliquées et des fonds de placement créés sur mesure pour le client. « Généralement, ce genre de montage est réservé aux grosses fortunes », me prévient Lee.

Dossier envoyé à l'hôtel
Après une longue discussion entrecoupée par des coups de fil en anglais et dans une autre langue qui m'est inconnue, le banquier m'offre un café dans son petit bureau. L'air de rien, il me demande ce que je pense de sa ville. Ma réponse élogieuse le ravit. « Un dossier vous sera envoyé à votre hôtel », me dit-il au moment où il me raccompagne à l'ascenseur. « Fairmont Raffles ! Un très bel hôtel, bon choix. C'est même l'excellence », ajoute-t-il, comme pour me flatter.
En sortant de la banque, je croise des grappes de touristes de toutes nationalités, l'air très chic. Autant de clients pour les banquiers de Singapour, qui sont si convaincants lorsqu'ils vous garantissent un secret inviolable pour votre fortune. Même si la mienne n'est que fictive…

http://eco.rue89.com/2009/07/15/banques-qui-veut-de-mon-argent-suisse

Maurice, Singapour, Delaware : ma planète off-shore en 3 clics:



Luxembourg, Liechtenstein, Suisse et Monaco sont désormais has-been pour les professionnels de la défiscalisation, qui leur préfèrent des endroits moins voyants, comme Singapour, l'île Maurice ou encore l'Etat du Delaware aux Etats-Unis. Avantages fiscaux en tout genre assurés, mais surtout discrétion garantie vis-à-vis des juges trop curieux.

Voici trois paradis fiscaux dont personne ne parle alors qu'ils proposent en quelques clics, un arsenal complet pour contourner toutes les législations fiscales du monde.

L'île Maurice:

Plus connue pour ses plages, ses hôtels de luxe et ses lagons bleus, l'île de l'océan Indien est devenue la destination préférée des intermédiaires distributeurs de commissions. En 1992, elle a tellement transformé le régime fiscal et juridique des sociétés qu'elle a pris la place de première place off-shore de l'hémisphère Sud. Le principe de la « Global Business » licence de catégorie II permet pas mal de choses :

« Une société détenant une licence globale d'affaires de la catégorie II est souvent utilisée pour les opérations commerciales et les investissements. Les sociétés GBCII ne sont pas domiciliées pour des impôts et n'ont pas accès au réseau de traité des impôts de l'île Maurice. Le nom du propriétaire n'est pas révélé aux autorités. »
Et, comme le détaille plus loin cette « management company », la gestion est très pratique :
« La majorité de nos clients nous demandent de leur fournir des signataires de comptes [on donne procuration à un tiers (employé) pour activer le compte, ndlr]. Les avantages que comporte un tel arrangement sont l'efficacité opérationnelle, un point de contact unique et une confidentialité accrue. Lorsque nous fournissons des signataires de compte, nous acceptons des instructions télécopiées pour effectuer des virements et donner notification des soldes bancaires. »
Pour posséder une off-shore à l'île Maurice, comptez 1500 dollars par an. Le tout dans les meilleurs délais (48 heures pour une société en port franc) et sans avoir à se déplacer (encore que, ça peut valoir le coup…).

Singapour : 

Deuxième grande destination, la vertueuse République de Singapour, toujours présentée comme « exempte de corruption ». Voire… car depuis le 1er janvier 2004, le cadre fiscal permet d'être créatif. Sur le site de la mission économique française, les experts tricolores estiment que les services financiers pèsent pour 11% du PIB local, employant 5% de la population active.
« Les autorités ont mis en place un mécanisme de garantie des dépôts et s'efforcent de promouvoir la place financière dans des domaines choisis tels que la banque privée ou la finance islamique, et en rendant plus attractifs sa fiscalité et son cadre juridique, tout en défendant son secret bancaire. »
Sur les rivages du détroit de Malacca, les spécialistes préconisent l'usage de la fondation (sans actionnaires) ou du trust -confiance en anglais- qui distingue le propriétaire des bénéficiaires. Le trust est utilisé par des professionnels :
« Certains entrepreneurs utilisent le trust pour détenir et diriger une société off-shore faisant du commerce international. Actions, obligations ou liquidités gagnées lors d'opérations internationales peuvent légalement être détenues dans des trusts off-shores sans être taxées. »
Le trust peut aussi être utile pour les particuliers :
« Le trust off-shore est particulièrement recommandé pour les expatriés vivant dans des pays instables et qui souhaitent protéger leurs avoirs. »
Là aussi, pas besoin de prendre l'avion. Toutes les formalités se font par Internet, mais les tarifs sont plus élevés qu'à Maurice. C'est le prix de la stabilité (la même famille politique gouverne le pays depuis 1965). Le package complet pour une off-shore est facturé 6700 euros, avec options :
« Pour un haut niveau de protection, nous proposons un service de nominée par des juristes qui vous fournissent un pouvoir d'exécution totale. Cela signifie que vos informations personnelles ne seront pas soumises aux autorités. Seul un juriste est capable de vous fournir un tel niveau de protection. »
L'option « nominee service » est à 590 euros par juriste. Notez que les plus grandes banques de la planète (Barclays, HSBC, CIBC…) ont des succursales à Singapour. Y compris les banques françaises, comme le souligne -non sans humour- la mission économique locale :
« Les principales banques françaises sont présentes à Singapour (Crédit Agricole Indosuez, BNP Paribas, Société générale, CIC, etc.) mais aucune ne fait de la banque de détail (i.e. pas de services aux particuliers). »
Au pôle financier à Paris, les magistrats spécialisés assurent qu'aucune commission rogatoire internationale ne revient complétée de Singapour ou de l'île Maurice. Cette absence totale de coopération rend ces destinations particulièrement sûres pour les blanchisseurs.

Le Delaware, au cœur-même de l'empire américain:

Savez-vous où se trouve le Delaware ? Pas plus que les milliers d'entreprises domiciliées dans cet état américain, au sud de New York, qui n'y ont jamais mis les pieds. Surnommé « le premier état », il autorise toutes sortes de libéralités, à condition de conduire ses affaires en dehors de son territoire. Son site officiel en fait d'ailleurs la publicité :
« Près d'un million de sociétés sont domiciliées dans le Delaware, y compris plus de la moitié des entreprises américaines et 60% de celles du classement Fortune 500. Ces sociétés ont choisi le Delaware car nous proposons un environnement complet de services incluant des lois modernes et flexibles, une cour d'arbitrage, un gouvernement local “ business-friendly ” et un service des entreprises de l'Etat très orienté clients. »
Pour une somme modique, vous pouvez créer une société holding qui pourra gérer d'autres sociétés, actionner des comptes bancaires à l'étranger ou tranférer des avoirs. Et ce, sans avoir l'obligation d'ouvrir un compte sur place ou d'apparaître nominalement dans les statuts. Le rêve de tout intermédiaire… A condition, là encore, d'avoir un agent local.
Les Français sont les bienvenus, puisque certains juristes maîtrisent sur le bout des doigts la législation locale, ainsi résumée :
La compagnie n'est pas obligée d'avoir son siège social, ni de faire des affaires dans l'État du Delaware. D'ailleurs, la majorité des actionnaires, administrateurs et dirigeants de compagnies incorporées au Delaware n'ont jamais mis les pieds dans cet État. La seule obligation de la compagnie faisant affaires ailleurs qu'au Delaware est d'être représentée par un agent agréé au Delaware.
La compagnie n'a aucune obligation d'avoir un compte en banque dans l'État du Delaware.
Une seule personne peut être actionnaire, administrateur et dirigeant (ex : président, vice-président, secrétaire et trésorier) d'une compagnie incorporée au Delaware.
Si une personne qui détient des actions d'une compagnie du Delaware ne réside pas dans cet État, elle n'est redevable d'aucun impôt ni taxe envers celui-ci relativement aux dites actions. De plus, il n'y a aucune taxe de vente au Delaware.
Il est possible d'incorporer très rapidement une compagnie au Delaware, même en une heure seulement (moyennant une surcharge).
Pour une simple domiciliation, comptez dans les 359 dollars par an. (...)
Si le G20 décide de supprimer quelques-uns des paradis fiscaux, que va-t-il advenir des autres, sachant que l'offre doit toujours satisfaire la demande ?
(...)

http://eco.rue89.com/2009/03/31/maurice-singapour-delaware-ma-planete-off-shore-en-3-clics

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