Majoritaire dans la diaspora mondiale et minoritaire en France, ce courant reconnaît des femmes rabbins, effectue la prière en français plutôt qu’en hébreu et revendique l’accueil des enfants de couples mixtes.
«Si on continue à refuser aux enfants issus de couples mixtes de nous rejoindre, il n’y aura plus beaucoup de juifs en France.» Pour Claude Bloch et Lionel Errera, président et membre du bureau exécutif de l’Union libérale israélite de France (Ulif), il n’y a pas d’alternative. Aujourd’hui, «il y a de plus en plus de mariages mixtes», rappellent-ils. Dans le cas où la mère est juive, pas de problème, le judaïsme se transmettant par les femmes les enfants seront juifs. Si c’est le père qui est juif, en revanche, les enfants ne le seront pas. D’où le risque de dilution pointé par Claude Bloch et Lionel Errera. La solution serait que la mère se convertisse, mais les courants orthodoxes et ultraorthodoxes du judaïsme n’admettent pas les conversions dans le but du mariage.
Adepte d’une interprétation des textes à la lumière de son temps, le judaïsme libéral a adopté, lui, la position inverse. «Chez nous, les enfants des couples mixtes sont les bienvenus», affirme Pauline Bebe, rabbin de la Communauté juive libérale d’Ile-de-France (CJL). L’avenir de ce courant était l’un des thèmes abordés lors du congrès européen du judaïsme libéral organisé du 4 au 7 mars à Paris. Pour la France, la question se pose avec une particulière acuité. Si «le judaïsme libéral est le mouvement religieux juif le plus important dans le monde», selon Pauline Bebe, il est très minoritaire en France avec 15 000 fidèles. La faute à Napoléon : «En créant le consistoire [en 1808, ndlr], il a établi une représentativité unique des juifs de France et freiné le développement du mouvement libéral»,souligne Delphine Horvilleur, rabbin du Mouvement juif libéral de France (MJLF).
«Repli». Aujourd’hui, le consistoire incarne toujours le judaïsme officiel. Lors de la cérémonie des vœux des dignitaires religieux au président de la République, Gilles Bernheim, le grand rabbin de France, est censé représenter tous les juifs. Or, si dans le passé le consistoire a «joué un rôle libéral», comme le reconnaît Pauline Bebe - la première fille autorisée à faire sa bat mistva, équivalent féminin de la bar mistva qui officialise l’entrée du jeune garçon dans la communauté, l’a «été dans le cadre du consistoire» - «progressivement, il y a eu un repli et une avancée des thèses fondamentalistes». Gilles Bernheim se définit lui-même comme orthodoxe. De l’élection de cet intellectuel, Delphine Horvilleur et Pauline Bebe attendaient une plus grande ouverture. Raté. «Les contacts avec le judaïsme consistorial sont inexistants», regrette la seconde. Les choses vont-elles évoluer ? «Je suis convié à une réunion au consistoire, cela se faisait à l’époque de Jacob Kaplan [grand rabbin de France de 1955 à 1980], cela semble reprendre», relève Claude Bloch.
L’autre innovation du judaïsme libéral est la place faite au sexe féminin. Ce qui se constate de visu. Vendredi soir, office de shabbat à l’Ulif, rue de la Victoire à Paris. Les femmes ne sont pas reléguées à la tribune, ou à l’arrière de la salle derrière une cloison - voire à la maison, comme chez les ultraorthodoxes -, mais prient aux côtés des hommes. Autre entorse à l’orthodoxie, les prières sont dites en français et non en hébreu. Enfin, un orgue tenu par une femme rythme la cérémonie, alors que, selon Pauline Bebe, «dans les synagogues traditionnelles, la musique est interdite, en mémoire de la destruction du temple de Jérusalem». En matière d’égalité des sexes, l’Ulif n’est toutefois pas le courant le plus à la pointe : alors que le judaïsme libéral compte trois femmes rabbins, elle n’en compte aucune. «La question n’a jamais été discutée. On est sans doute la plus conservatrice des communautés libérales de France et d’Europe», reconnaît Claude Bloch.
Bain rituel. En même temps que ces concessions à la modernité, le judaïsme libéral amorce-t-il un retour en arrière avec la récente redécouverte de «rites abandonnés» ? En novembre, le MJLF a inauguré un mikvé, bain rituel utilisé par les hommes et les femmes pour se purifier. «L’immersion peut être vue comme un rituel de renouveau lors d’étapes importantes de la vie comme la fin d’une chimiothérapie, la ménopause», souligne Delphine Horvilleur. «La cacherout [ensemble des règles alimentaires juives] est également devenue un sujet de réflexion, poursuit-elle. Est-ce qu’un produit cultivé dans une terre bourrée de pesticides et ramassé par des travailleurs sans-papiers est cacher ?»
Il est un sujet, en revanche, sur lequel «il n’y a pas de spécificité du judaïsme libéral», selon Delphine Horvilleur, c’est «la nécessité de l’existence de l’Etat d’Israël». S’exprimant lors de l’un des ateliers organisés dans le cadre du congrès, l’historien et journaliste Alexandre Adler, qui appartient à ce courant, a été très clair : «En tant qu’organisation, nous devons réaffirmer notre ferme engagement en faveur d’Israël en toutes circonstances.»
Repères: judaïsme
Le judaïsme libéral est né au début du XIXe siècle en Allemagne dans le sillage de la Révolution française et des idées d’égalité dont elle était porteuse. Mouvement majoritaire de la diaspora juive mondiale, il compte 1,7 million d’adeptes dans 45 pays.
500 000
C’est le nombre estimé des juifs de France. 40% des juifs mariés de moins de 30 ans ont un conjoint non juif. Parmi les couples non mariés, la proportion serait encore plus forte.
Halakha
Règle de conduite pratique, la Halakha est le guide officiel de la vie religieuse et civile dans le judaïsme. Selon la Halakha, la judéité se transmet par la mère.
En France, le judaïsme libéral rassemble 15 000 personnes réparties en 16 communautés appartenant à plusieurs courants : l’Union libérale israélite de France (Ulif), le Mouvement juif libéral de France (MJLF), la Communauté juive libérale d’Ile-de-France (CJL).
http://www.liberation.fr/societe/0101623334-le-judaisme-liberal-en-terre-aride
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