Certaines grandes pharmas ne veulent pas encore y croire. Mais le temps des blockbusters est compté avec l'apparition des diagnostics génétiques. Le principe va véritablement révolutionner les rapports entre médecins et malades.
Une véritable révolution est en marche, qui va complètement changer l'approche pour traiter les patients. Dans une précédente édition, Bilan (N°4/2010) a déjà annoncé la fin du prêt-à-porter pharmaceutique et des fameux blockbusters. «L'apparition des diagnostics génétiques ne va pas constituer une évolution, mais elle va véritablement révolutionner les rapports entre médecins, malades, hôpitaux, caisses maladie et autorités de régulation», analyse Rolland-Yves Mauvernay.
Le patron emblématique de Debiopharm Groupn n'hésite pas à être prophétique: «Je m'aperçois que ceux qui vont rater ce virage ne seront pas satisfaits, ni civiquement, ni moralement, ni surtout économiquement.» Sous l'impulsion de son fils, Thierry, le groupe lausannois s'investit désormais dans le diagnostic moléculaire.
Severin Schwan, le CEO de Roche, est moins emphatique: «La médecine personnalisée n'est rien de neuf. Le corps médical a toujours essayé, dans la mesure du possible, d'adapter la thérapie au patient.» Mais ses conclusions sont tout aussi explicites: «En revanche, ce qui est apparu tout récemment, c'est que nous avons commencé à aller à un stade plus profond... Aujourd'hui, nous explorons la maladie au plan biologique et la traitons au niveau moléculaire.»
Des traitements plus ciblés
Quelque part, la victoire de Barack Obama pour imposer une assurance-maladie obligatoire à l'ensemble des Américains risque de donner un nouveau coup de pouce à la médecine personnalisée. C'est un atout supplémentaire pour ce que l'on appelle aussi le diagnostic intégré qui s'ajoute aux effets de la crise. «Le ralentissement économique a encore exacerbé la pression sur les coûts de la santé. Il n'est que de voir aussi les débats sur la Sécu en France», note Pietro Scalfaro, directeur de l'unité d'affaires Diagnostics chez Debiopharm Group.
Pour faire simple, on peut dire que, jusqu'ici, la médecine a cherché à offrir des médicaments valables pour tous les patients. Avec les développements de la génomique, les chercheurs ont caressé l'espoir de pouvoir tailler des médicaments sur mesure pour chaque individu. «C'était une approche qui a énormément coûté, en argent, mais aussi en perte de temps», juge Thierry Mauvernay, vice-président exécutif de Debiopharm Group.
Avec la médecine personnalisée, la réalité cesse d'être toute blanche ou toute noire. Son idéal: donner le bon médicament au bon patient, au bon moment. En fonction des particularités du patient, le médecin va déterminer si le médicament va fonctionner ou non. Si oui, dans quelle quantité. Les firmes pharmaceutiques commencent d'ailleurs à fournir un arbre de décision pour piloter les choix du médecin. Certains spécialistes du domaine espèrent même arriver à une capacité de prédiction de l'ordre de 90%. En Grande-Bretagne, où la santé est depuis longtemps sous pression financière, des statistiques sont tenues pour déterminer quel traitement fonctionne à quel prix. «Les bénéfices tirés d'un mixe de modèles diagnostics sont clairs: information facilement accessible, moins de temps perdu à ciseler des rapports, plus de temps à disposition des patients, soins mieux adaptés et succès démontrés», témoigne Paul Collinson, chef du Département de pathologie à l'Hôpital Saint-Georges de Londres.
Avec la manière actuelle de traiter les maladies, on se dit déjà très satisfait quand les produits administrés sont performants dans 30% des cas. On le constate avec les antidouleurs ou les bêtabloquants. Pour l'heure - et tout le marketing des pharmas se fonde sur cette conception - la pratique consiste à dire: «On essaie et, si ça ne fonctionne pas, on change.» A l'avenir, des diagnostics beaucoup plus fins doivent permettre de mieux adapter les traitements. En analysant non seulement l'état du patient, mais aussi les capacités du médicament et en trouvant l'intersection entre les deux.
«En cas de cancer du sein localisé, après l'ablation de la tumeur, la question se pose toujours de savoir s'il convient de pratiquer une chimiothérapie ou non. Jusqu'à maintenant, on le faisait par crainte d'une possible résurgence. Aux Etats-Unis, les caisses acceptent désormais de payer 3900 dollars pour un test moléculaire. Sur cette base, on peut déterminer que 98% des chimiothérapies ne sont pas nécessaires. Entre 80 et 90% des patientes suivent l'avis proposé. Pour des payeurs comme Medco (60 millions d'Américains assurés pour leur couverture pharmacie) les économies sont phénoménales sur des stratégies de ce type. C'est par ailleurs un des pionniers américains pour pousser l'utilisation de tests diagnostics moléculaires en vue d'une meilleure gestion des coûts et de la sécurité des médicaments.», commente le Dr Scalfaro.
Autre exemple: la FDAaméricaine impose désormais un test génétique pour pouvoir prescrire un traitement récent du cancer du côlon. Conséquence: le marché a été divisé en deux, mais les probabilités d'avoir un effet sur les malades se sont améliorées. En Suisse, un laboratoire zurichois vient de mettre au point un test préalable pour l'hépatite C, permettant de mieux prédire si le médicament va fonctionner ou pas. «On peut parier qu'il sera obligatoire à l'horizon de deux ans car les frais qu'il permet d'économiser sont plus importants que les 180 francs que coûte le test», diagnostique Pietro Scalfaro.
Des médicaments renaissent
Le développement du diagnostic moléculaire permet de redonner vie à des médicaments contestés, voire abandonnés. En effet, il n'est pas rare que des molécules aient été retirées de la vente même si elles s'avéraient efficaces sur un certain nombre de patients. En revanche, les effets secondaires sur une majorité d'autres associés à l'absence de résultat patent les condamnaient. «L'exemple le plus récent et le plus célèbre est l'Iressa. Ce médicament contre le cancer du poumon avait un temps été abandonné. Il est aujourd'hui récupéré car on peut cibler les patients pour lesquels il est efficace», signale Thierry Mauvernay.
Pour nombre de spécialistes du dossier, il apparaît clairement que le développement des diagnostics génétiques va relancer des médicaments qui avaient été laissés de côté. «Le redesign de molécules s'annonce aussi comme un nouvel avenir», confie un insider. Un produit traitant une maladie touchant 180 millions de personnes, mais ne bénéficiant qu'à 10% d'entre elles coûterait infiniment trop cher s'il devait être administré à tous. En revanche, si son application peut être ciblée de façon pertinente, le médicament redevient économiquement viable.
Au contact de cet enthousiasme, on pourrait se dire que l'avènement de la médecine personnalisée va survenir tambour battant. Pourtant, rien n'est moins sûr. On sent des blocages importants du côté des pharmas et des médecins. «Ces derniers doivent intégrer le fait qu'un médicament n'est pas valable pour tous les patients. En même temps, les diagnostics génétiques les soulagent de l'obligation de prendre la responsabilité totale», commente Rolland-Yves Mauvernay.
En revanche, les organismes payeurs (caisses maladie) et réglementaires (ministères de la santé) vont certainement tout faire pour accélérer le mouvement. «Il faut s'attendre à ce que l'administration Obama manifeste un grand intérêt à faire avancer le rôle des tests génétiques dans la médecine personnalisée comme part de l'ensemble de la réforme de la santé», prédisait il y a une année déjà la newsletter spécialisée «Washington G-2 reports». Avec le vote du Congrès, un nouveau coup d'accélérateur a certainement été donné!
http://www.bilan.ch/d%C3%A9bats/la-m%C3%A9decine-du-futursera-personnalis%C3%A9e
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