L’époque où porter un patronyme étranger était un frein à l’intégration est bien révolue. Les nouveaux arrivants préfèrent aujourd’hui mettre en avant leur identité plutôt que la taire.
Pour beaucoup d’immigrants du XIX e et du XX e siècle, changer d’identité à leur arrivée aux États-Unis était un véritable rite de passage. En 1850, le fabricant de pianos d’origine allemande Charles Steinweg a ainsi décidé de changer de nom pour Steinway (entre autres parce qu’à l’époque, les instruments de musique anglais avaient la réputation d’être de meilleure qualité). Le raisonnement de ces immigrants était simple : adopter un nom à consonance américaine pouvait faciliter leur intégration, leur éviter de se faire remarquer, leur permettre d’échapper à la discrimination. Ou bien ils estimaient que pour le bien de leurs affaires il valait mieux adopter une nouvelle identité.
Aujourd’hui, la plupart des observateurs s’accordent à dire que cette pratique a quasiment disparu. « La plupart des gens ne changent plus leur nom », explique Cheryl R. David, ancienne présidente de la branche new-yorkaise de l’Association des avocats spécialisés en droit de l’immigration. Il est difficile de trouver des statistiques comparatives détaillées concernant cette évolution, d’autant que la transition s’est opérée progressivement. Cette pratique a décliné au cours des dernières décennies et l’on peut en trouver la preuve (bien qu’aucun chiffre n’existe à ce sujet) dans les registres de presque n’importe quel tribunal américain.
The New York Times a étudié plus de 500 demandes de changement de nom déposées en juin 2010 auprès du tribunal civil de New York, la ville américaine qui abrite le plus de personnes nées à l’étranger. Seule une poignée d’entre elles semble avoir clairement pour but d’angliciser ou d’abréger un patronyme ; elles émanent d’immigrants d’Amérique latine ou d’Asie. Quelques Russes et Européens de l’Est ont également fait cette demande, mais à peu près autant ont conservé leur nom d’origine.
Cependant, la majorité des étrangers ayant demandé à changer de nom l’ont fait soit après un mariage, en prenant celui de leur époux ou en créant un nom composé, soit parce que les documents établis à leur naissance ne portaient pas de nom mais uniquement la mention “garçon” ou “fille”, soit parce qu’ils adoptaient le nom d’un de leurs parents.
Iyata Ishimabet Maini Valdene Archibald, de Brooklyn, est ainsi devenue Ishimabet Malkini Valdene Bryce. Mère d’une petite fille de 5 ans dénommée Star Jing Garcia Jing Qiu Wu, de Flushing (Queens), a enlevé après son divorce le nom de son mari de celui de sa fille, qui s’appelle désormais Star Rain Wu. Certains ont abandonné le prénom Mohammed pour le remplacer par Najmul ou Hayat. Et un couple de personnes âgées a adopté le nom de Khan à la place d’Islam, mais, selon leurs dires, plutôt pour être en phase avec les membres les plus jeunes de la famille que pour éviter les discriminations.
Les sociologues y voient un effet du multiculturalisme croissant des États-Unis. De plus, changer son nom pour se fondre dans la foule n’est pas une stratégie efficace pour les Asiatiques et les Latinos, qui ne sont pas tous blancs comme l’étaient généralement les immigrants européens du XIX e siècle et du début du XX e siècle. La discrimination positive et autres programmes similaires ont transformé la différence ethnique en un atout potentiel, dans certains cas, du moins.
« En 1910, la pression sociale était plus importante, les immigrés devaient tout faire pour s’intégrer », explique l’historienne Marian Smith, du Bureau américain de la citoyenneté et des services d’immigration. « Alors qu’aujourd’hui, les immigrants arrivent munis de tous leurs papiers officiels et de documents d’identité, un permis de conduire et un passeport à leur nom en poche. Changer d’identité est devenu beaucoup plus compliqué. »
Selon Douglas S. Massey, sociologue à l’université de Princeton, les étrangers et leurs enfants ne ressentent plus la nécessité de changer leur nom pour s’intégrer depuis « les années 1970 et 1980, époque à laquelle l’immigration a pris de l’importance dans la vie américaine et où le mouvement des droits civiques a fait de la fierté communautaire un atout à cultiver. »
Sam Roberts Extrait du journal The New York Times.
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