jeudi 6 janvier 2011

La Françafrique a toujours bon dos

Dès qu’un processus de démocratisation échoue, Paris est accusé de tous les maux. Un argument trop facile, estime l’écrivain ivoirien Venance Konan.

 Venance Konan 
Le Patriote

Jusqu’à ce jour, en Afrique, tous les maux de la société ont toujours été attribués à un sorcier ou à une sorcière. Un homme meurt dans un accident de voiture par exemple, on trouvera un sorcier à qui attribuer le décès. En 2007, un leader de la Fédération ­estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), syndicat estudiantin soutenant aveuglément Gbagbo [président sortant, au pouvoir depuis 2000], a trouvé la mort dans un accident de la route en faisant un dépassement dangereux. Le jour de son enterrement, ses camarades ont incendié les cases de quelques vieilles personnes de son village, qu’ils accusaient d’être les sorciers responsables de sa mort.

Cette mentalité anime encore bon nombre d’intellectuels africains et panafricanistes installés bien au chaud en France. Pour toute chose, il faut chercher le coupable ailleurs. Et, pour eux, tout ce qui arrive de négatif en Afrique est le fait de la France ou de son excroissance, la Françafrique. C’est elle, notre sorcier. Chère Françafrique ! Que serions-nous devenus, nous intellectuels africains et panafricanistes, si tu n’avais pas existé pour nous dédouaner de toute responsabilité dans nos malheurs ?

Des rives enneigées de la Seine, personne n’a remarqué que Gbagbo avait cédé toute l’économie de son pays aux multinationales, et que, en dix ans de règne, il n’avait formé aucun cadre susceptible de créer ou de diriger la moindre entreprise. Personne n’a remarqué la corruption que ce régime avait sécrétée, gangrenant toute la société ivoirienne. Personne là-bas n’a remarqué la liberté de la presse bâillonnée, les messages de haine véhiculés par la radio et la télévision nationales et la presse proche de Gbagbo, les ressortissants étrangers quotidiennement menacés. Non ! Gbagbo est un grand combattant de la liberté ! Trêve de balivernes. Ce qui se passe en Côte d’Ivoire en ce moment est tout simplement une tentative de braquage de la démocratie. Les Ivoiriens ont voté et ont dans leur grande majorité donné leurs voix à Ouattara. Et Gbagbo proclame que son pouvoir lui vient de Dieu et refuse de le lâcher. Nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris nous parlent d’ingérence de la communauté internationale dans les affaires d’un pays africain. Sans doute n’ont-ils pas remarqué, dans le confort où ils vivent à Paris, qu’en 2005 ce sont les leaders politiques ivoiriens, avec à leur tête le président d’alors, Gbagbo, qui ont demandé à l’ONU de venir avaliser le processus électoral.

C’est cette communauté internationale, aujourd’hui vouée aux gémonies, qui a alors financé tout ce processus. Personne à cette époque n’a parlé d’ingérence étrangère ni de souveraineté nationale bafouée. Personne, ni ici, ni ailleurs, n’y a trouvé à redire. Les résultats qui plaçaient M. Gbagbo en tête ont été acceptés par tous, après la certification du représentant de l’ONU. A l’issue du scrutin, personne n’a signalé d’incidents majeurs ayant entaché la sincérité du scrutin.
Et voici qu’à peine le président de la Commission électorale indépendante (CEI) a-t-il donné les résultats provisoires que le président du Conseil constitutionnel se précipite pour annoncer que ce que le président de la CEI a dit est nul et non avenu. Et quelques heures plus tard, sans que l’on sache quand ni comment, il annule d’un trait les résultats de tous les départements du Nord, en y ajoutant Bouaké, qui est au Centre, qui ont massivement voté pour M. Ouattara.

Ce qui est absolument inacceptable dans l’attitude du Conseil constitutionnel est qu’il a pris sa décision totalement en dehors du droit. Rien, absolument rien dans le droit ivoirien n’autorise le Conseil constitutionnel à annuler les résultats du scrutin d’une région, de manière à inverser les résultats provisoires. Je voudrais que nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris m’indiquent ce qui pourrait autoriser le Conseil constitutionnel à violer ainsi la loi dont il est le gardien. Le Conseil constitutionnel a tout simplement inventé ici le droit. Or il n’est pas le législateur. Aussi, je dis que nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris sont tout simplement malhonnêtes. Se rendent-ils compte de ce qu’ils défendent ? Après une dizaine d’années de tumulte, des élections libres et transparentes se sont déroulées. Elles ont été les plus coûteuses au monde et le monde entier a constaté le très fort taux de participation, qui était un record mondial.
Et voici que le Conseil constitutionnel, sans aucune base juridique, raye d’un trait les votes de toutes les régions du Nord. Il leur dénie ainsi tout simplement la citoyenneté ivoirienne. Se rendent-ils compte, ces intellectuels africains et panafricanistes parisiens, qu’en défendant cela ils cautionnent ainsi la future guerre civile qui va dévaster la Côte d’Ivoire ? La question ici n’est pas de soutenir tel candidat contre tel autre. Il s’agit de défendre la démocratie. Les Ivoiriens ont voté, ils ont clairement exprimé leur vote, et Gbagbo veut confisquer leur volonté. Il n’y a pas de France ou de Françafrique dans cette affaire. Chercher des poux dans les cheveux de la France, c’est montrer du doigt un sorcier lorsqu’un homme ivre se tue au volant de sa voiture.

Nous autres, nous avons toujours rêvé de voir nos pays devenir aussi démocratiques qu’ailleurs. Nous nous sommes toujours battus pour cela, avec la conviction que notre état actuel n’était pas une fatalité. Et voici qu’un peuple africain a pu choisir librement, pour la première fois de son histoire, celui qu’il veut comme dirigeant. Et un dictateur au petit pied veut tuer cette démocratie naissante en massacrant tous ceux qui dans le pays s’opposent à lui. Toute la communauté internationale dit non à ce hold-up. Et ce sont nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris qui prennent la défense de cet assassin, aux côtés des Vergès, Dumas ? Pincez-moi, je rêve ! C’est vrai que Paris est loin et que l’on n’y entend pas le crépitement des mitraillettes, les cris des personnes que l’on enlève, que l’on torture, les bruits des casseroles sur lesquelles les femmes tapent dans tous les quartiers où l’on ne dort plus, pour signaler l’arrivée des tueurs.

Non, vous n’entendez pas, et vous direz comme Blé Goudé [ministre de la Jeunesse de Gbagbo], que ce sont des rumeurs, ou comme Gbagbo, que c’est encore un complot de la communauté internationale. Mais moi je vis à Abidjan [capitale économique de la Côte d’Ivoire] et j’ai entendu durant des heures les tirs des miliciens et des mercenaires de Gbagbo. J’ai, moi aussi, fait le compte de mes connaissances tuées, torturées ou disparues. Je ne sais pas quand mon tour arrivera, parce que je suis dans leur collimateur. De grâce, que ceux qui ne peuvent rien pour nous aient au moins la décence de se taire !

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