mercredi 14 décembre 2011

Dragueurs : la fausse pimbêche

Courrier international

Dans un récent entretien, [le fabricant de vêtements londonien] Johnnie Boden affirmait que, pour lui, toutes les Parisiennes étaient des “pimbêches”. “Ce n’est pas facile, poursuivait-il. J’essaie de flirter avec elles, mais ça ne marche pas.” Il a raison, naturellement. Les Françaises sont des pimbêches. En même temps, n’est-ce pas ainsi qu’est censée réagir toute Parisienne digne de ce nom, confrontée à un homme d’âge moyen, sexuellement complexé et complètement ignorant dans l’art de la séduction ? Vous pouvez sans risque présumer de la véracité de ce portrait – a fortiori si vous êtes français – en considérant ce simple fait : Johnnie Boden a le malheur d’être citoyen britannique. En France, cela signifie qu’il est à l’amour ce que Gengis Khan fut aux droits de l’homme. La réaction indignée de l’Anglais face à la causticité française constitue en elle-même la preuve de son ignorance. En France, l’allure pimbêche fait partie du jeu. Il s’agit de tester l’homme (ou la femme, puisque la séduction se pratique ici à double sens) qui essaie de vous séduire. Pourquoi, après tout, essayer de flirter avec quelqu’un qui est déjà sous votre charme ? Aucune notion de conquête, aucun intérêt.

Boden a également confié son désarroi devant le visage fermé des Françaises auxquelles il s’adressait. Suivant les règles du jeu – et il y en a beaucoup –, le sourire ne vient en effet que plus tard, bien après la première moue et le haussement d’épaules qui s’ensuit. L’important, c’est de bien faire le distinguo entre la moue annonciatrice d’un sourire et la moue exprimant un irrévocable mépris. Ces dernières années, un nombre croissant d’instituts proposant des leçons de séduction à la française pour les pauvres étrangers mal dégrossis ont ouvert leurs portes à Paris. En réalité, la séduction est un art qu’il n’est pas facile d’apprendre à moins d’avoir un bon instinct, ce qui implique en gros d’avoir grandi en France.

“La séduction suprême n’est pas d’exprimer ses sentiments. C’est de les faire soupçonner”, disait Jules Barbey d’Aurevilly au XIXe siècle. En d’autres termes, Boden va devoir faire preuve de patience et de finesse s’il veut conquérir le cœur des Françaises. Il ne sert à rien de déballer la première chose qui vous passe par la tête, si ce qui vous passe par la tête n’est pas particulièrement brillant. Souvenez-vous qu’il s’agit d’un pays plein de paradoxes, qui nous a donné aussi bien les œuvres érotiques du marquis de Sade que l’implacable logique de Descartes. La France est à la fois le pays du baisemain (pour lequel l’homme doit à peine effleurer la main de la femme de manière qu’elle sente son souffle sur la peau) et celui de Dominique Strauss-Kahn. D’après Frédéric Beigbeder, un bon amant français se caractérise par son brio oratoire, sa politesse vieille école et ses prouesses sexuelles. “Moitié amour courtois, moitié d’Artagnan”, résume-t-il.

Aucun commentaire: