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La bonne nouvelle pour ces impats qui broient du noir arrive sous la forme d'une courbe sinusoïdale projetée sur grand écran. Après des hauts (la lune de miel de l'arrivée) et des bas (le contrecoup du retour), la réadaptation à la vie française prendrait un an en moyenne. Mais la règle n'a rien de mathématique, comme peut en témoigner Jean-François Scordia. Fuyant "le stress de Manhattan" où il travaillait dans l'hôtellerie, ce Breton aspirait à un rythme de vie plus paisible dans sa région natale. Mais, mois après mois, le rêve du retour aux sources a viré au cauchemar. En 2004, au bout de trois ans sans emploi, la confiance en berne et les finances à sec, il doit repartir aux Etats-Unis en catastrophe, avec son jeune fils et sa femme américaine, méditant amèrement le vieux diction "Nul n'est prophète en son pays". Lui qui avait enchaîné les postes à responsabilités dans les adresses les plus courues de New York doit revoir ses ambitions françaises à la baisse : "A l'ANPE, c'est tout juste s'ils ne m'ont pas proposé de devenir serveur. Je leur ai pourtant dit que j'avais eu jusqu'à soixante employés sous mes ordres." Avec ses phrases truffées d'anglicismes et son style très direct, "à l'anglo-saxonne", Jean-François Scordia se heurte au scepticisme des banques et des employeurs potentiels. Personne ne semble croire à la réalité de son rêve américain : "Quand je leur parlais de chiffres d'affaires de 10 millions de dollars pour un restaurant, ils pensaient que je racontais des bobards. Pour moi, c'est le signe d'un pays qui pense petit. On dirait qu'il y a une peur de progresser et de grandir."
Par frilosité et conservatisme, la France se prive-t-elle de tous ces talents extérieurs qui ramènent dans leurs bagages des idées nouvelles et un regard neuf sur leur vieux pays ?
C'est le sentiment de bon nombre d'impats, frustrés de constater le faible intérêt que suscite leur expérience à l'étranger. Ces derniers ne servent pas toujours leur cause en entonnant un peu trop systématiquement le sempiternel refrain du "c'était mieux ailleurs" si exaspérant aux oreilles de leurs compatriotes restés dans l'Hexagone, c'est-à-dire l'immense majorité. Cela étant, les Français émigrent de plus en plus. Leur nombre à l'étranger est aujourd'hui estimé à 2,5 millions. D'où peut-être la nécessité d'aider un peu plus tous ceux qui le souhaiteraient lorsqu'ils rentrent au pays... D'ailleurs, combien sont les impatriés ? Nul ne le sait réellement, en l'absence d'un outil statistique fiable recensant ce type de mouvements migratoires. Difficile du coup de mesurer l'impact de la crise. En 2008, les médias avaient fait grand cas du retour piteux des cow-boys de la finance fuyant Londres, New York et Francfort pour venir panser leurs plaies en France, parfois aux frais de la République. Mais rien n'indique un mouvement massif de repli sur les bases françaises pour cause de crise mondiale. "Tant que le chômage est à 10 %, je n'imagine pas un rush. Le chômage des jeunes, en particulier, est très élevé ici malheureusement", analyse Hélène Conway-Mouret, la ministre des Français de l'étranger.
Rien ne vaut le vécu. Après vingt-cinq ans passés en Irlande, cette ancienne universitaire de l'Institut de technologie de Dublin est plus sensibilisée que ses prédécesseurs à la problématique de l'impatriation : bien que ministre, elle doit ferrailler avec l'administration française pour obtenir la carte grise de sa Peugeot 406 ramenée d'Irlande. Et cherche à convaincre ses collègues du gouvernement (notamment de l'Intérieur, de l'Education nationale, des Affaires sociales) de la nécessité de déverrouiller les "points de blocage" qui compliquent la réinsertion :"Pour moi, la mobilité, ça se passe dans les deux sens. Vous partez, c'est très bien, vous servez la France à l'étranger. Quand vous revenez, on doit vous montrer que l'on valorise ce que vous avez acquis. On a un guichet pour sortir, on peut bien avoir un guichet pour rentrer !"
Si beaucoup d'impats se désolent de l'état dans lequel ils ont retrouvé leur pays, d'autres apprécient les avantages qu'offre encore notre "chère" République avec d'autant plus de force qu'ils en ont été privés durant des années. C'est le cas de Louisa Zanoun, historienne et chercheuse en poste à la London School of Economics (Londres), puis à l'université Concordia (Montréal). Cette fille de harkis, qui se voit comme "un pur produit de l'école républicaine", tenait absolument à scolariser sa fille, aujourd'hui âgée de 8 ans, dans un établissement français. Rentrée en juillet 2010 après douze ans à l'étranger, elle a redécouvert "un rapport à la culture" qu'elle ne trouvait pas au Canada. Aujourd'hui, cette Montreuilloise d'une quarantaine d'années s'émerveille du goût hexagonal pour le débat : "Les gens sont intéressés par ce qui se passe dans la sphère publique. En France, tout le monde a une opinion sur quelque chose."
Un contraste bienvenu, selon elle, avec les sujets de conversation passe-partout choisis pour ne fâcher personne dans les pays anglo-saxons. Louisa Zanoun n'ignore pas les travers nationaux, et particulièrement parisiens. Elle cite pêle-mêle l'agressivité, le manque de savoir-vivre et de courtoisie, les rapports sociaux tendus, l'incivisme... Mais les bruits de la comédie humaine à la française lui arrivent désormais avec un son étouffé : "Je regarde tout ça avec une sorte de détachement. Celui que j'avais à l'étranger et que j'ai gardé." Son long séjour hors du bocal national a été pour Louisa Zanoun comme un détour anthropologique qui lui a fait considérer les choses sous un autre angle.
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