samedi 13 juin 2009

L'Angleterre est fâchée contre les Bermudes

LE MONDE

"We are not amused [cela ne nous amuse pas]" : Elisabeth II pourrait faire sienne la boutade de son ascendant la reine Victoria, après la décision du territoire des Bermudes d'accueillir quatre Ouïgours détenus à Guantanamo. Chef d'Etat de cette colonie de la couronne située au large des côtes de Floride, Sa Majesté n'a guère apprécié l'asile donné aux quatre Chinois musulmans blanchis de tout soupçon de terrorisme.

"Le gouvernement des Bermudes aurait dû nous consulter", a indiqué le Foreign Office en faisant écho au déplaisir royal. La Grande-Bretagne est en effet en charge des affaires étrangères et de la défense de cet archipel autonome fort de 70 000 habitants. Or le représentant de la reine, le gouverneur, a été mis devant le fait accompli. Les Etats-Unis n'ont pas jugé bon de prévenir la puissance tutélaire de leur décision de se débarrasser là des quatre ressortissants chinois d'ethnie ouïgoure réclamés par Pékin.

Washington a négocié directement avec les autorités locales d'Hamilton, la capitale, en leur faisant valoir le poids de la présence économique américaine dans ce paradis fiscal spécialisé dans l'assurance des multinationales. Les touristes américains constituent la majorité des visiteurs de l'archipel. Les seuls signes de l'influence britannique sont l'effigie de la reine sur les billets de banque et la conduite à gauche. Enfin, l'administration Obama aurait promis d'aider les Bermudes, placées sur la liste "grise" de l'OCDE des pays non coopératifs dans la lutte contre "l'argent sale", à obtenir un certificat de bonne conduite.


Après trois cents ans de relations harmonieuses, le torchon brûle entre la suzeraine anglaise et ses sujets antillais. Les îles Caïmans, autre centre offshore d'importance, ne pardonnent pas à Londres de s'être retrouvées sur la même liste du déshonneur à l'issue du sommet du G20, le 2 avril, présidé par le premier ministre britannique, Gordon Brown. La suspension, pour corruption, du gouvernement d'un autre confetti de l'empire, les Turks et Caicos, accusé de recyclage d'argent sale, a donné lieu à des accusations de néocolonialisme. Les efforts de la mère patrie pour nettoyer une autre "lessiveuse" de fonds louches, les îles Vierges britanniques, ont provoqué des tiraillements avec les autochtones.

Le coup de force américain a rappelé à la souveraine cet autre coup bas du grand allié : l'invasion en 1983 par les GI de la Grenade, un pays du Commonwealth, en réponse à un coup d'Etat castriste. La puissance tutélaire n'avait pas été prévenue de cette attaque, qui avait provoqué une colère publique du monarque contre son président américain favori, Ronald Reagan.

Marc Roche

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