De retour d’Afghanistan, le parachutiste Ounoussou Guissé, né au Sénégal mais français par son père, se voit contester sa nationalité.
On peut servir dans les paras, revenir d’Afghanistan et se voir contester sa nationalité française devant les tribunaux de la République. C’est le cas du brigadier Ounoussou Guissé, engagé depuis 2002 au 1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes (Hautes-Pyrénées). Et c’est également celui de son frère aîné Amara, qui a servi, jusqu’en 2008, au 12e régiment d’artillerie d’Oberhoffen (Bas-Rhin).
Ce mardi 6 octobre, le brigadier Guissé s’est donc présenté à la cour d’appel du tribunal de grande instance (TGI) de Rouen (Seine-Maritime) en uniforme, le béret rouge vissé sur la tête, pour tenter de conserver sa nationalité française. Et donc le droit de continuer à servir dans l’armée de ce qu’il considère être, depuis toujours, son pays. En 2008, Ounoussou Guissé avait gagné devant le TGI, mais la chancellerie a souhaité faire appel. L’affaire est mise en délibéré au 18 novembre.
«Décolonisation». Elle suscite de vives réactions dans la communauté militaire et chez les anciens paras (1). Dans une armée très attachée à la mémoire des tirailleurs sénégalais, l’incompréhension domine, d’autant que les autorités militaires avaient «conseillé» à Guissé de ne pas s’afficher en uniforme au tribunal. Ce qu’il a refusé de faire.
Agé de 29 ans, Ounoussou Guissé est arrivé en France depuis son Sénégal natal à l’âge de 17 ans, munis de papiers français qui lui avaient été délivrés depuis plusieurs années par le consulat de France. Son père, Daouda, avait en effet la nationalité française - et c’est cela qui est aujourd’hui contesté par la justice. «C’est un problème lié à la décolonisation», explique l’avocate du brigadier, Me Cécile Madeline. En 1960, lors de l’indépendance du Sénégal, les personnes d’origine sénégalaise qui résidaient en France pouvaient choisir de garder la nationalité française. C’est ce que fit son père, qui obtint ses papiers en 1962. Rentré au Sénégal, après avoir travaillé une quinzaine d’années dans la région du Havre (Seine-Maritime), Daouda eut des enfants. Ceux-ci étaient donc Français de par le «droit du sang». C’est un citoyen français qui s’est engagé dans l’armée de terre en 2002. Depuis, «l’interprétation de la loi a changé», explique Me Madeline. «Selon la Cour de cassation, il ne suffit plus que la personne ait été domiciliée en France au moment de l’indépendance de son pays, mais il faut que sa famille l’ait été également.» «En quelque sorte, la France dit à ses ressortissants qu’elle s’est trompée en 1960 et qu’on va maintenant retirer la nationalité à leurs enfants…» poursuit-elle.
«Retentissement». Le frère d’Ounoussou est, lui aussi, concerné. Né en 1977, Amara Guissé a également fait une carrière sous les drapeaux. C’est même à son adresse militaire, le 12e régiment d’artillerie, que le tribunal de grande instance de Strasbourg lui a envoyé, en mars 2007, le courrier contestant sa nationalité…
«Sur le plan symbolique, cette affaire est démentielle, inacceptable, affirme Eric Deroo, historien et spécialiste de l’histoire militaire coloniale. Cela revient à dire aux jeunes issus de l’immigration que, même sous l’uniforme français, ils peuvent être mis dehors !L’affaire ne sera pas non plus sans retentissement en Afrique francophone. Que répondrons-nous aux gens qui nous diront que non seulement nous avons tardé à verser les pensions des anciens combattants, mais que l’on va jusqu’à contester la nationalité française à des jeunes qui servent dans notre armée ?»
http://www.liberation.fr/societe/0101596518-renie-par-la-nation
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