mardi 2 novembre 2010

Les pays pauvres exportent leurs modes de vie

Crédits innovants, conception des produits plus économique, les pays en développement et émergents nous proposent des styles de vie, certes moins coûteux, mais souvent plus simples et astucieux.

Les cigales sont devenues fourmis aux États-Unis. Et non seulement les Américains répugnent à s'endetter, mais il leur arrive de payer leurs achats à l'avance. Au royaume du «credit revolving», où chaque détenteur de carte de crédit supporte en moyenne une dette de 7.000 dollars vis-à-vis de sa banque, les «cartes prépayées» ont le vent en poupe. Distribués par des entreprises, des administrations ou à titre de cadeau par un proche, ces moyens de paiement sont le strict opposé des cartes de crédit. Le consommateur dispose par avance des sommes qui lui permettront de régler ses dépenses au lieu d'avoir à les rembourser à des taux prohibitifs avoisinant 20 %.

Daniel Gross, l'éditorialiste de Newsweek, reconnaît qu'on peut y voir «un signe de régression». Les cartes prépayées étaient l'apanage des pays d'Amérique latine et d'Afrique subsaharienne, qui compensent ainsi les insuffisances de leurs systèmes bancaires. Il considère aussi qu'il s'agit d'une réaction d'adaptation plutôt saine de la société américaine. Selon la Federal Deposit Insurance Corporation, l'agence fédérale garantissant les dépôts bancaires de la clientèle en cas de faillites, 60 millions d'Américains sont aujourd'hui «sous-bancarisés». Ce public n'a pratiquement pas accès aux services financiers. Les cartes prépayées répondent à ses besoins.

Voilà un exemple emblématique où les pays pauvres ont un temps d'avance sur les économies dites «avancées». Il en est bien d'autres. En France, le paiement par téléphone mobile reste à l'état embryonnaire. Une expérience est en cours à Nice, à l'initiative de la Mairie, alors qu'en Afrique l'usage du «m paiement» (m, pour mobile) s'est répandu comme une traînée de poudre en trois ans. «C'est un moyen de pallier la déficience des infrastructures bancaires et, d'une certaine façon, le détournement d'une technologie pour en faire autre chose que sa destination initiale», explique-t-on à la Fédération bancaire française. 60 % des 400.000 villages d'Afrique sont reliés à un réseau télécoms, mais à peine 11 % des Africains ont un compte en banque, selon le consultant BearingPoint. Pour les petites transactions, les «m paiements» reviennent à échanger des «crédits téléphoniques» et non des «unités monétaires» proprement dites. Ce serait bien sûr totalement impossible en Europe, où la «directive sur la monnaie électronique» proscrit ce genre de troc, souligne-t-on à la FBF.

L'Afrique représente un terrain d'expérimentation privilégié pour les opérateurs de téléphone. Le français Orange a ainsi mis au point un dispositif «Orange Money», agréé par la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest : il permet de déposer et de retirer de l'argent dans ses propres agences.

Les grandes entreprises occidentales, tous secteurs confondus, n'hésitent pas à s'inspirer des modes de vie des pays émergents pour mieux se développer sur leurs marchés d'origine. Au printemps 2004, Renault annonçait la fabrication d'une voiture low-cost, la Logan, fabriquée et vendue par sa filiale Dacia en Roumanie au prix de 5.000 euros. Pourrait-elle être distribuée un jour en France ? Mystère. Les voitures de Dacia totalisent aujourd'hui 10 % des ventes aux particuliers dans l'Hexagone. Et ce n'est pas fini: 18 % des Français se disent prêts à acheter une voiture low-cost, selon l'observatoire Cetelem 2010 sur la consommation.

Autre effet boomerang, l'initiative de novembre 2007 par Essilor de vendre en Inde des lunettes de vue à 5 dollars trouve sa réplique trois ans plus tard sur le marché français. Deux enseignes low-costs, Hans Anders et Lun's Eyewear, proposent actuellement des lunettes correctrices à prix unique de 45 euros. Un coût relativement plus bas que l'offre indienne d'Essilor si l'on tient compte de la richesse moyenne par habitant entre l'Inde et la France (respectivement 1.000 et 42.000 dollars l'an, selon la Banque mondiale). Quant au microcrédit, dont l'origine remonte à 1976 au Bangladesh pour financer les paysans les plus pauvres, il a véritablement décollé en 2009 chez nous. Selon le rapport Camdessus de l'Observatoire français de la microfinance, «20.384 microcrédits ont été accordés à des professionnels, en progression de 38 % par rapport à 2008», pour un montant moyen de 5.000 € et une durée de deux à trois ans.

Même le Guide Michelin s'y met. Dans son édition 2010, Bibendum fait la part belle aux restaurants du Chinatown parisien, dans le XIIIe, tel Le Bambou qui offre des menus à 15 euros. C'est d'autant plus notable que la bible gastronomique des bourgeois ignore superbement le mythique Tong Yen de la rue Mermoz, la table favorite de Jacques Chirac, qui s'y est fait récemment inviter par Nicolas Sarkozy.

Les pays pauvres et émergents ne sont plus seulement des pourvoyeurs de produits bon marché. Ils nous proposent des styles de vie, certes moins coûteux, mais souvent plus simples et astucieux. Le sociologue-économiste, Régis Bigot du Crédoc, parle de «phénomène de crossover». Au sens où les chanteurs d'opéras, aux voix riches et travaillées, s'aventurent dans la pop, comme vient de le faire la belle mezzo suédoise Anne Sofie von Otter. Imagine-t-on Maria Callas chantant le répertoire de Dalida ? Une époque révolue.

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/11/01/04016-20101101ARTFIG00460-les-pays-pauvres-exportent-leurs-modes-de-vie.php

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