L’Allemagne, pays en crise, n’est plus un pays d’immigration
L'Allemagne se vide. Au sens démographique d'abord. Il y a plus d'Allemands qui ont quitté leur pays que d'étrangers qui s'y sont installés. Mais aussi au sens symbolique du terme. Le modèle allemand, pacifiste, écologiste, critique envers lui-même, n'existe plus. Est-ce pour cela que les Allemands s'en vont?
Au cœur des vacances, l’affaire est quasiment passée inaperçue. Inaperçue, elle le demeure encore à l’heure où l’Allemagne s’apprête à élire le 27 septembre prochain un nouveau Bundestag. D’une portée politique nettement plus grande que ne le sont les thèmes d’une des campagnes les plus moroses que la RFA ait connue depuis des décennies, les chiffres des flux migratoires allemands auraient dû alerter les responsables politiques. Néanmoins, ils ont préféré garder le silence. Et pour cause ! Privilégiant les bonnes vielles paroles d’antan, du type « on continue et on ne change rien », ils ne tiennent surtout pas à alarmer leurs électeurs. Et pourtant, il y a de quoi s’inquiéter. A la lecture des données de « l’Office fédéral de la statistique », il s’avère que, pour la première fois depuis 1984, plus d’Allemands auraient quitté leur pays en 2008 que d’étrangers ne s’y seraient installés durant la même période. Alors que 682 000 d’entre eux se sont établis en RFA, 738 000 Allemands ont décidé de quitter la République fédérale. Bien que beaucoup comptent y revenir un jour, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en premier lieu, l’Allemagne n’est plus un pays d’immigration mais un pays d’émigration. Et comme c’est le cas pour tout autre pays d’émigration, l’Allemagne est un pays en crise.
Déjà incapable de maîtriser son problème démographique, auquel elle n’a trouvé d’autre solution que de relever l’âge de la retraite à 67 ans, la République fédérale d’Allemagne est en train de perdre une partie conséquente de ses cadres et chercheurs. Car c’est bel et bien dans les pays riches que les expatriés allemands cherchent désormais à vivre et à travailler. Entre autres aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Autriche, mais aussi en France, devancée dès 2006 par l’Espagne, îlot pour retraités allemands privilégiés. La palme d’or de l’émigration allemande revient toutefois à sa voisine, la Suisse. Celle-ci a accueilli plus de 29 000 ressortissants allemands en 2008. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire un détour dans les universités helvétiques, notamment alémaniques mais aussi romandes, où des professeurs de renom, voire de jeunes doctorants ou autres universitaires, presque tous originaires de la RFA, se félicitent des excellentes conditions salariales et de travail qui leur y sont offertes.
Ces élites émigrées ne sont pas les seules à bénéficier des avantages suisses. Nombre de caissières de supermarché, voire de serveuses de restaurant, domiciliées à Bâle, à Zurich ou dans n’importe quelle station touristique de l’Oberland bernois et du Haut Valais, vous répondent désormais dans un allemand, quasiment parfait, excepté un léger accent saxon, preuve que beaucoup d’Allemands de l’Est, victimes du chômage endémique qui règne en ex-RDA, préfèrent aujourd’hui tenter leur chance en Suisse. Bien que la comparaison puisse heurter quelques âmes germaniques, personne n’oserait remettre en cause une nouvelle donnée politique : en ce début du 21ème siècle, les travailleurs (est)-allemands ont en quelque sorte remplacé en Suisse les immigrés des années soixante, Italiens ou Espagnols pour la plupart, naguère ouvriers spécialisés ou techniciens de maintenance.
«L’Allemagne n’est pas ce que vous croyez»
La République fédérale d’Allemagne n’admettra jamais par elle-même ce qu’elle s’efforce tant bien que mal de cacher. A l’aube du vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, elle est confrontée à un double défi dont elle refuse obstinément de prendre conscience. Face à un enjeu migratoire, elle enregistre d’une part une fuite de cerveaux, issus pour nombre d’entre eux de l’Ouest, et exporte d’autre part un certain nombre de ses chômeurs, souvent originaires de l’Est. Elle démontre ainsi son incapacité politique à réaliser aujourd’hui, près de vingt ans après son unification, ce qu’elle a parfaitement réussi à faire à l’Ouest durant environ trois décennies, à savoir offrir au reste de l’Europe un modèle de société. Fait encore insuffisamment intériorisé par ses principaux partenaires européens, et notamment par les Français, force est de constater que le modèle allemand n’existe plus. En 1978, Joseph Rovan, l’un des artisans de la réconciliation franco-allemande, publiait un ouvrage au nom évocateur de « l’Allemagne n’est pas ce que vous croyez ». L’auteur désirait alors donner une image plus démocratique, plus conviviale, plus sympathique d’un pays dont les Français avaient en mémoire l’autoritarisme, l’occupation, et le passé nazi. Trente ans après, un nouveau livre, au titre analogue, pourrait faire son apparition sur les étales des librairies françaises. Non pour vanter les vertus du voisin allemand, mais pour dresser un tableau plus nuancé. La représentation d’une Allemagne pacifiste, alternative, écologiste et critique avec elle-même est désormais remplacée par une description nettement plus différenciée de la réalité allemande. En revendiquant une normalité identique à celle dont se prévalent les autres Etats européens, la RFA est devenue une nation comme les autres, victime au même titre que ses voisins et partenaires des vicissitudes et difficultés dues à la crise financière. N’a-t-elle pas perdu en cela une part de son attractivité, pour elle, ses habitants, mais aussi pour ses amis ?
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