lundi 17 mai 2010

Les Juifs du Liban, une partie oubliée de l'histoire du pays

Avant 1948, la communauté juive au Liban comptait quelque 20 000 membres. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une petite trentaine. Journaliste libanaise, Nada Abdelsamad a recueilli des témoignages pour « Des histoires de Juifs du Liban », titre d'un ouvrage qu'elle vient de publier à Beyrouth. Une démarche rare dans un pays arabe.


Les Juifs du Liban ? La dernière de ses préoccupations. Journaliste politique, réputée grande professionnelle, Nada Abdelsamad couvre le conflit israélo-palestinien depuis presque vingt ans. Très tôt, durant la guerre civile qui éclate en 1975, elle s'engage professionnellement en faveur d'un Liban multiconfessionnel.

Rédactrice en chef à la chaîne New TV, elle devient ensuite correspondante pour la BBC et témoin de chaque nouveau conflit. En 2000, avec émotion, elle assiste à la libération du Sud-Liban, occupé par l'armée israélienne durant 22 ans.

De la méfiance à la stupéfaction

Elle ne s'était jamais penchée sur la question des Juifs libanais qui, en 30 ans, sont passés de 20 000 habitants à entre 20 et 30 aujourd'hui :

« Pour moi, ils relevaient de l'imaginaire. J'en ai toujours entendu parler, mais n'en ai jamais rencontré. Je les jugeais même déloyaux à l'égard du Liban parce que chaque fois que quelqu'un évoquait une amitié avec des Juifs libanais, le récit se concluait de la même manière : ces derniers étaient brutalement partis du jour au lendemain, dans le plus grand secret, sans même informer leurs plus proches. Aucun n'a jamais donné de nouvelles. On supposait qu'ils avaient rejoint Israël. »


En réalisant une série radiophonique pour la BBC sur les diverses communautés dans son pays, Nada Abdelsamad est passée de la méfiance à la stupéfaction. Première difficulté : interviewer des Juifs Libanais. Elle n'en connaît aucun :

« J'ai donc enquêté, par téléphone, au Canada. C'était la première fois que je m'entretenais avec des Juifs libanais. J'ai été profondément touchée de leur amour pour le Liban et de leur désir d'y retourner y passer leur retraite si la situation le permettait. Cela a bouleversé mes repères. Jusqu'à présent, pour moi, l'attachement d'un Juif pour un pays n'était associé qu'à l'Etat d'Israël. »


Ils lui parlent d'un paradis perdu, après ces deux moments de l'Histoire « qui ont mal tourné » : 1948 et 1967. 1948 correspond à l'exode d'une majorité des Palestiniens chassés de leur terre natale à l'issue de la guerre israélo-palestinienne et 1967 à la guerre des six jours déclarée par l'Egypte au terme de laquelle l'Etat hébreu occupe le Sinaï, le Golan, la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.

Nada Abdelsamad recueille alors le témoignage de Libanais, à Beyrouth, qui ont vécu dans le quartier de Wadi Abou Jamil, le quartier juif de la ville. La plupart exigent l'anonymat et, au micro, expriment une grande nostalgie de leurs anciens amis juifs.

Un pan de l'Histoire oublié

La journaliste décide d'en faire un livre : « Des Histoires de Juifs du Liban » vient de sortir à Beyrouth, aux éditions El Nahar. Ce sont des histoires de vie émouvantes et dont la réalité de certaines dépasse la fiction. Des histoires de (ex)voisins, de (ex)proches, d'(ex)amoureux que le contexte géo-politique a prétendu rendre ennemis. Des récits qui ont modifié la vision de Nada Abdelsamad :

« Je me suis rendu compte qu'ils étaient des citoyens libanais au même titre que moi, avec les mêmes droits. »


Une position rare dans un pays arabe, qui plus est au Liban, qui a traversé plusieurs guerres avec l'Etat hébreu et, souligne-t-elle :

« Dont Beyrouth - la deuxième capitale arabe après la Palestine - a été assiégée en 82. Nous avons subi les conséquences de tous les conflits qu'Israël a avec les pays arabes, et vécu la douleur des déplacés Palestiniens. La mémoire des Juifs du Liban n'était donc pas une priorité. Mais il est temps de l'intégrer à notre histoire nationale. »


Parmi ces histoires de Juifs du Liban, celle de Marco Mizrahi a marqué les anciens du quartier Wadi Abou Jamil, aujourd'hui devenu l'un des plus luxueux coins de Beyrouth, sans aucune trace de ce passé. Marco Mizrahi est enfant quand, après 1967, sa famille décide d'émigrer en Israël et qu'il confie à son meilleur ami qu'ils ne se reverront jamais plus.

Puis, en 1982, lors de l'invasion israélienne de Beyrouth, Marco revient… sur un char, comme soldat ! Sur lui, la liste de toutes les connaissances de ses parents. De leur part, il se rend au quartier Wadi prendre de leurs nouvelles et s'inquiéter de son ami d'enfance. Les voisins l'informent que ce dernier a émigré dans les pays du Golfe. Nada Abdelsamad explique :

« Sa visite est restée le sujet principal de toutes les conversations du quartier pendant des mois. Marco était dans l'armée des envahisseurs et est revenu demander des nouvelles de son ami ! »


La mémoire collective du Liban

Pour l'instant, les réactions à la publication de cet ouvrage sont positives et les premières ventes décollent :

« Certains se sont inquiétés : “Pourquoi ce travail maintenant ? Tu sympathises avec la cause des Juifs ? ” Je suppose qu'ils vont changer d'avis après la lecture du livre car pour moi, il ne s'agit pas d'adresser de message idéologique mais de parler d'un passé qui a existé et qu'on ne peut pas prétendre effacer, juste en le niant.

Mon travail relève de la mémoire collective du Liban, et non pas d'une position politique, j'insiste sur ce point. D'ailleurs, d'autres m'ont encouragée. »


Une suite ? Nada Abdelsamad aimerait bien retrouver les personnages cités dans son livre. Ecouter leur histoire racontée de vive voix. Pour que l'imaginaire se fasse réel.

http://www.rue89.com/2009/12/19/les-juifs-du-liban-une-partie-oubliee-de-lhistoire-du-pays-130563?page=1

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